Le Brady, ce petit cinéma du quartier Strasbourg-St Denis, longtemps Temple du cinéma bis, est raconté par un de ces projectionnistes qui vécu une vraie liaison amoureuse avec cette salle alors miteuse, au début des années 2000. Chut, la séance commence !
Il est arrivé là presque par hasard, au début du siècle. avec son diplôme de projectionniste dans la poche, sa guitare sous le bras et sa dégaine de mec sympa.
Il y avait une place à prendre. Il s’y est installé. Le Brady, au 39 boulevard de Strasbourg, c’est bien plus qu’une salle de cinéma. Peuplée jour et soir par une faune de zonards mi-clochards, des marginaux qui y viennent pour dormir, passer la journée au chaud et profiter des séances permanentes (qui n’existent plus dans les grandes salles). Des vieux arabes esseulés, des homos en quête d’un coup rapide… Le cinéma fut un temps racheté par Jean-Pierre Mocky, un cinéaste pas comme les autres, lui non plus, grande gueule, démerdard, magouilleur, exploiteur plus qu’exploitant… et sa programmation fut dédiée en partie aux nombreuses fictions de seconde zone et aux quelques bijoux du cinéaste bricoleur, qu’on pouvait voir une pelle ou un balai à la main !
Dilettante éclairé, notre projectionniste/anthropologue porte un regard perplexe, puis amusé, sur les étranges créatures qui hantent les lieux, sur ce quartier en pleine mutation, sa population bariolée et pittoresque et surtout, énumère avec gourmandise tous ces nanars du cinéma de genre, films d’horreur, western spaghetti, fantastiques à budgets « riquiqui », pornos aux titres « capillo tractés »… des toiles qui attirent des cinéphiles fanatiques, de véritables experts qui courent après la rareté…
Foisonnantes, drôles, toujours bienveillantes, les anecdotes sont nombreuses et toujours savoureuses. Elles révèlent le talent iconoclaste d’observateur puis de conteur de Jacques Thorens qui dépeint ici un monde populaire et gouailleur, celui d’un Paris métissé aux accents cosmopolites qui s’efface petit à petit pour faire place à une capitale lisse, uniforme, sans saveur ni odeur. A noter qu’aujourd’hui, le Brady est devenu une salle « fréquentable » d’art et d’essai…
Hugues Demeusy
Le Brady cinéma des damnés
Jacques Thorens
Edtions Verticales
344 p – 21 euros
Parution : 8 octobre 2015