Un an après la disparition d’André Blanchard, les éditions du Dilettante publient les derniers textes de l’écrivain franc-comtois écrits entre 2012 entre 2014.
Quelle émotion ! Déjà de découvrir ce livre qui est le dernier fascicule des carnets d’André Blanchard (2012 – 2014), il décédera très peu de temps après avoir écrit les dernières lignes de ce texte, en septembre 2014. C’est toujours un moment émouvant de lire les ultimes mots d’un auteur surtout quand ce lui-ci sait que la maladie ne lui laissera que peu de temps pour écrire encore quelques mots à l’intention de ses fidèles lecteurs, des mots qui prennent de ce fait la résonance d’un testament dépassant le cadre littéraire. Émotion, ensuite, pour moi qui réside depuis des décennies dans la ville où est né André Blanchard et où il devait venir encore souvent car il n’habitait qu’à environ cinquante kilomètres de Besançon, à Vesoul où il dirigeait une galerie d’art. Il n’avait que quelques années de moins que moi, nous nous sommes peut-être croisés sans nous connaître, nous avons peut-être fréquenté la même université en même temps. C’est désormais une frustration supplémentaire pour moi car une bonne partie de ce qu’il a écrit me touche personnellement, je crois que nous aurions partagé beaucoup d’idées et échangé beaucoup d’avis sur le monde d’aujourd’hui, sur nos concitoyens, sur les lettres et sur les dévoiements de la langue.
Le mot « reste » figure dans le titre qu’il a choisi pour ce qu’il savait être son dernier opus, comme ce qui reste quand tout est fini, qu’il n’y aura plus rien après. Donc, une dernière fois, moins méchamment qu’à une autre époque, dit-il, il dénonce les errements des responsables politiques, de gauche comme de droite mais avec plus d’amertume envers ceux de gauche qui ont trahi leur idéologie (même s’il ne le dit pas aussi clairement, on le comprend bien). Il s’indigne de constater la sous-culture qui envahit les médias où « les bons clients », ceux qui savent mettre les rieurs et les gogos de leur côté, font l’opinion et vendent des livres qu’ils n’ont même pas toujours écrits.
Il a un regard particulier pour les écrivains qui, trop souvent, « ont donné leur langue au chat » perdant ainsi les fondamentaux du langage. Pour son dernier tour de piste littéraire, il rappelle ceux qui peuvent-être considérés comme les grands maîtres de la littérature, ceux qui ont honoré notre langue et dénonce tous ceux qui n’ont contribué qu’à la pollution de la langue et à l’encombrement des rayons des librairies. Il ne se défile pas, il donne des noms. Balzac, Flaubert (il donne sa hiérarchie de ses œuvres : « L’Education sentimentale ; après Madame Bovary et, presque à égalité Bouvard et Pécuchet ; ensuite vient Un cœur simple ») et Proust sont pour lui les maîtres incontestables du roman, d’autres viennent ensuit mais seulement après dans la hiérarchie. Ces dernières lignes seront pour Emma Bovary qui a compris que l’idiote ce n’était pas elle mais la vie. « Ce qu’il lui faut, c’est un monde capable de remplacer le titulaire, éreinté, et, suprême affront, qui devant elle ne bande plus. » Il s’est éteint et on ne l’a pas remplacé.
Lire Blanchard c’est une leçon de vie, une mise en garde contre tout ce qui est désigné par ces mots qui commencent par un privatif : incompétence, inconséquence, incohérence, insuffisance, incapacité…, il y en a encore beaucoup et ils sont très utiles aujourd’hui dès qu’on veut parler de la société et de son fonctionnement. Lire Blanchard, c’est aussi une leçon de français à l’usage de tous les ânes qui parlent ou écrivent dans les médias, il les montre du doigt en dénonçant leurs écarts envers la belle langue de France. Il aimait encore la vie, il avait encore des choses à dire et à écrire, il n’était pas aigri seulement désolé devant la médiocrité qui envahi notre société. Et il a fermé ses livres sans geindre ni se lamenter avec dignité, il a rejoint « ce somptueux quatuor qui se rit des siècles : Villon, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud » au paradis des poètes.
Et avant de refermer son dernier carnet, je garderais bien ce postulat en forme de testament : « Je trouve excessif qu’on salue chez un écrivain sa liberté de ton. C’est un minimum. Pour y prétendre, et s’y maintenir, il faut certes un postulat : se foutre des ventes et autres récompenses, ne jamais ménager quiconque a du pouvoir ou de l’entregent. Conclusion : soit être pété de thunes, soit n’avoir pas de train de vie. »
Denis Billamaboz
Le reste sans changement
Carnets 2012-2014 de André Blanchard
188 pages – 18€
Editeur : Le Dilettante
Parution : 4 novembre 2015