Après dix ans d’absence, voici le retour inespéré de David Grumel. Un must pour qui aime la pop classe et mélodique.
En 2005 sortait le bien-nommé Beaurivage, un disque alliant charme suranné et élégance intemporelle. Détail non négligeable qui en prouvait la valeur : l’ album était produit par Bardi Johansson alias Bang Gang. Sorti chez Naïve (comprendre « gros label »), ce premier opus de David Grumel, découvert sur des compilations du label lounge Mole Listening pearls, avait tout pour devenir un succès. Il ne vous a pas échappé que cela n’a pas été le cas… Mal promotionné, victime de la frilosité des radios hexagonales (un mal récurrent et structurel), Beaurivage n’a même pas atteint les oreilles de ses auditeurs potentiels – et potentiellement nombreux. Il y avait bien eu une synchro publicitaire (Renault Scenic Attitude) où le téléspectateur pouvait à juste titre s’ébahir en se demandant « mais qui donc a fait cette musique qui provoque en moi cette lévitation« . Sauf que le publicitaire, et c’est bien normal, met en avant le nom de la marque de la voiture, le nom du modèle et pas celle du musicien qui l’accompagne.
En 2015, David Grumel revient par la petite porte (comprendre « en autoproduit »). Cela pourrait ressembler en soi à une certaine utopie. Que peut-il espérer d’autres que la confidentialité ? Mais l’utopie du titre est peut-être à chercher ailleurs, tout simplement en rapport avec la musique elle-même. Amoureux de Chopin, fan de pop classieuse et de musiques de film des années 60-70, Grumel est surtout un compositeur à l’ancienne : un pianiste plus qu’un chanteur (même s’il s’acquitte finalement très bien de la tâche), amateur d’harmonie et d’orchestration. Une vraie utopie par ces temps de racolage et de pose médiatique pour un musicien provincial qui privilégie le temps long et la composition finement ciselée. A fortiori quand l’on peut certes compter sur son propre talent de musicien et sur celui d’amis qui n’en manquent pas (dont Lauren Lopez, Neeskens, Jeremy Rassat ou Cascadeur), mais aucunement sur des moyens financiers étendus.
Plus encore que Beaurivage, Utopia ne faillit pas à l’ambition musicale que David Grumel s’est fixée. Sans reprendre un célèbre slogan d’une marque de voiture (encore la même), Utopia a tout d’un grand. A l’instar de Mellow en son temps, l’hommage aux grands compositeurs de musique de film est certain et assumé ; que ce soit dans une guitare électrique émergeant avec fracas derrière les limbes et le chant de sirènes (un Manoir marqué par le sceau de Morricone). Sur Bari Roubaix, le Savoyard imagine la rencontre musicale entre le compositeur italien et François de Roubaix, dans un titre se délectant de synthés vintage. Sur Beautiful sorrow, le thème au piano pourra évoquer la ronde infernale composée par Pino Donaggio pour la film Carrie. Mais, chez Grumel, l’ambiance évolue et l’on passe du malaise à l’apaisement.
Car Utopia est surtout porteur de petits miracles ; de vrais oxymores d’un musicien équilibriste qui révèlent toute son ambivalence et sa complexité musicale.
Sur The Good, the Evil, le piano n’arrête pas de frémir et la rythmique, pourtant sans tapage, trépigne ; à se demander si l’on fait du surplace ou si l’on part dans une course effrénée. Sur A Starry Night, malice et joie de vivre s’affichent gaiement dans un océan de mélancolie. Même sur le plus pop Western soul, l’ambiance générale sereine se pare d’une certaine amertume ouatée. Même le disque est bâti en soi sur un paradoxe : une œuvre orchestrale mais profondément intimiste. Grumel met parfaitement en avant les musiciens qui l’accompagnent et leur permet de briller. Résultat il suffit d’un violoncelle, d’un cor ou d’un chœur pour donner une ampleur soudaine à une mélodie. La musique n’a guère besoin de plus pour devenir bouleversante (on est bien loin de l’emphase pompière de Woodkid). Avec toujours cet onirisme presque fantastique empli de douceur que l’on retrouve chez Patrick Watson.
Une vraie utopie, je vous dis. Et si très peu de monde aura l’occasion de rencontrer ce disque : tant pis, la musique existe et c’est là l’essentiel.
Denis Zorgniotti
Date de sortie : 9 octobre 2015
label : Autoproduit