Elijah Stern mène son existence de croque-mort en toute discrétion au fin fond du Kansas. Pourtant, l’autopsie d’un cadavre va le mener à s’improviser enquêteur et réveiller un passé douloureux que sa mémoire n’a pas enfoui si profondément que ça…
Haï, craint, mis à l’écart, le fossoyeur n’est pas le personnage le plus reluisant des westerns. Il n’en est, en tout cas, jamais le protagoniste principal.
En se jouant des règles établies, les frères Maffre nous livrent, à travers Le croque-mort, le clochard et l’assassin, une fiction à contre-courant où l’ensevelisseur de cadavres occupe le premier rang. Et des cadavres, il va en être semé quelques-uns tout au long de cette aventure.
L’histoire s’ouvre sur une courte mise en abyme, quelques années auparavant, à l’époque de la guerre de Sécession, avant que nous retrouvions Elijah Stern en 1880, vacant à ses occupations professionnelles dans le cimetière d’une petite ville du Kansas. Évoluant parmi un panel de personnages caractéristiques (un shérif, des prostitués, des clochards, des pochtrons, etc.), il est plutôt atypique. Sans chapeau haut de forme ni vautours tournoyants autour de lui, il se démarque des autres par une psychologie subtile. Bien que solitaire et insignifiant, pour ne pas dire morne, cet homme calme et peu causant se révèle observateur et érudit, troquant volontiers ses services contre un livre à travers lequel il pourra s’évader. Un antihéros singulier, loin des archétypes du croque-mort, qui ne possède ni arme ni monture.
Lorsqu’on l’appelle pour l’inhumation de l’ivrogne Charles Bening, décédé dans le lit d’une catin du bordel de la bourgade, ce n’est qu’un coup de pelle de plus pour Elijah Stern. Pourtant, quand la veuve du disparu, membre de la ligue de tolérance, lui demande d’effectuer une autopsie pour montrer les dommages de l’excès d’alcool aux buveurs excessifs, le fossoyeur n’imagine pas à quel point ce choix va changer le cours des événements. Progressivement, l’intrigue va faire appel au passé et nous découvrirons combien les souvenirs ont laissé des traces indélébiles.
Frédéric Maffre nous propose ici un récit noir et décalé, revisitant le western avec un scénario rythmé et une ambiance pesante. Tout en s’orientant vers le policier, le cadre et les protagonistes respectent les codes du genre que Julien Maffre a su graphiquement mettre en exergue par son excellent coup de crayon au trait fin, savamment exagéré notamment au niveau des visages volontairement anguleux. L’esthétique des décors de Far West est elle aussi retranscrite avec talent dans des couleurs sobres. Le cadrage et le découpage sont parfaitement agencés, alternant les petites cases intimistes et les grandes scènes en plongée.
Une collaboration réussie qui se poursuivra dans une prochaine aventure de Stern dont on attend déjà impatiemment la sortie !
Simon BAERT
Stern, Le croque-mort, le clochard et l’assassin
Scénario : Frédéric Maffre
Dessin : Julien Maffre
Éditeur : Dargaud
56 pages – 13,99 €
Date de sortie : 21 août 2015