Dans cette nouvelle série Showtime sur la spirale de la passion dévorante d’un quarantenaire, d’abord une très bonne surprise: le plaisir de retrouver Dominic West dans un rôle à sa mesure, lui qui fut l’inégalable Jimmy Mc Nulty dans The Wire.
Or donc le voici dans The affair, littéralement « la liaison », incarnant un père de famille de New-York, prof de lettres la semaine et écrivain, par passion, pendant ses temps libres. Solloway est, en plus, marié à la fille d’un écrivain qui a connu son heure de gloire dans les années 80 et jouit la fortune qui vient avec elle: on sent que Noah Solloway subit le mal de vivre dans l’ombre du beau-père et peste de devoir disposer des deniers de sa belle-famille pour donner un cadre efficace à son foyer de quatre enfants, élevés comme de parfaits gosses de riches.
Quand la série démarre, on retrouve tout ce petit monde sur la route des vacances vers Montauk, oú le beau-père a établi ses quartiers à l’année, pour y jouir de la plage et de la mer.
Alors qu’ils s’arrêtent dans un restaurant de bord de route, en périphérie de la ville, la benjamine de la famille manque de s’étouffer et est sauvée ni extremis par la serveuse Alison, qui tape immédiatement et irrémédiablement dans l’œil de l’écrivain en pleine crise de la quarantaine.
Amateur de séries pleines de rebondissements et d’action à tous les épisodes, passe ton chemin. The Affair est une comédie de mœurs, qui prend le temps de planter l’univers, en même temps qu’elle installe ses personnages, le cadre émotionnel et le décor qui joue lui aussi un rôle prépondérant dans le drame de l’intrigue générale. Il faut bien trois ou quatre épisodes avant que la situation ne soit posée et qu’on soit piqué de curiosité pour cette love story, d’abord fantasmée puis contenue, avant d’être vécue en emportant tout sur son passage.
La relation extraconjugale, qui donne pourtant son nom à la fiction, est plutôt le déclencheur de nombreuses névroses personnelles, sociales ou régionales -qu’il convient de taire pour éviter le spoil- qu’une simple liaison charnelle dangereuse entre les deux protagonistes principaux qu’on pressent attirés dès le premier épisode et dont les grosses ficelles peuvent certes rebuter les spectateurs pressés. La « liaison » est en fait moins une histoire d’amour qu’un vecteur pour faire voler en éclats le côté lisse du milieu petit bourgeois New Yorkais et son pendant rustre dans la famille terrienne Lockhart, dont Alison est la pièce rapportée. Chaque personnage voit ce climax passionnel comme une manière violente de remettre en cause ses peines, ses habitudes, ses sentiments, ses turpitudes, son milieu. Dit comme ça on imagine une série pour midinettes barbues… Et pourtant, pas du tout. Cette série est un bijou d’écriture.
Les scénaristes ont l’intelligence d’ajouter des ressorts criminels à la comédie de moeurs d’ailleurs amenés très tôt dans la saison 1 et se dotent d’une manière totalement nouvelle de faire avancer le feuilleton. Autant d’éléments stylistiques qui relancent perpétuellement l’attrait pour la série et les interrogations du spectateur au gré de l’avancement de l’intrigue.
Dans la saison 1 la plus grosse trouvaille scénaristique consiste à développer le double (ou triple) regard sur une même scène. Pour une raison qu’on ne comprend pas, au début de la série, l’histoire d’amour et ses à côtés sont racontés comme au passé, depuis ce qui semble être une salle d’interrogatoire. Chacun des protagonistes raconte le même moment de sa relation passionnelle mais selon son point de vue propre ou son ressenti particulier. Chaque épisode de la saison 1 est ainsi régulièrement divisé en deux parties, l’une développant la vision d’Alison Lockhart (Ruth Wilson), l’autre celle de Noah Solloway (Dominic West). Rarement, ce sont les personnages tiers qui apportent leur vision. Le spectateur est amené à revoir la même scène telle que racontée par l’un ou l’autre des tourtereaux. Souvent, le ressenti de l’un et de l’autre personnage, l’enchaînement des situations, les attitudes, l’interprétation des signes de séduction divergent, et le jeu des 7 erreurs est un des ferments de l’attrait pour la première saison. Le jeu d’acteur suit d’ailleurs avec brio cette ubiquité, cette multiplicité de points de vue. Les scènes ne s’enchaînent pas toujours de la même façon, les décors, le mobilier, les paroles, les tenants et les aboutissants (ce qui se passe avant que les personnages se croisent pendant une journée ) varient. Ils éclairent l’humeur du protagoniste tel que décrit dans le récit de l’autre. Une version finit par nourrir l’autre, lève des interrogations nées dans le premier récit, oú au contraire en amènent de nouvelles questions au spectateur.
Le scénario avance linéairement, mais il fait de réguliers rebonds entre la première demi heure et la seconde. Passionnant travail de scénariste. Et puis, il y a ce procédé narratif qui semble placer chaque narration de la saison 1 comme en flash back d’un interrogatoire de police. Pourquoi les personnages semblent-ils interrogés par un juge ou un enquêteur, alors que rien dans ce que l’histoire nous propose ne semble déboucher sur une nature criminelle? Pourquoi untel et untel semblent se haïr dans ces moments de flash, pourquoi tel autre semble nourrir une connivence qui n’est pas évidente dans la narration en cours? Etc. Etc. Les auteurs parviennent, sans lourdeur, à maintenir un haut degré de tension au fil des douze épisodes de la saison 1, rendant cette série de mœurs aussi passionnante qu’un bon policier, ce qui n’est pas une évidence pour une série qui se développe comme une comédie sociale, de mœurs.
« Une saison 2 qui a le bon goût de ne pas ré-exploiter ni les mêmes ficelles scénaristiques, ni de prolonger artificiellement l’intrigue. »
Quand démarre la saison 2, après un bon cliffhanger comme seuls les scénaristes américains arrivent à en pondre, on croit comprendre pourquoi les protagonistes sont questionnés par la police. On imagine que les apparents « salauds » de la saison 1 ont du avoir une fin malheureuse -dont le mari paumé entre tristesse de la perte d’un être cher et l’obligation de tenter de maintenir toute une dynastie à flot Cole Lockhart (superbe Joshua Jackson)-.
On s’attend à ce que la série déroule une fois encore le même mode de narration à regards multiples sur une histoire qui avance linéairement après la mort du bad guy. Interrogés par la police, Noah et Alison continueraient de raconter leur histoire, leur version de la mort de l’empêcheur de roucouler en rond de l’histoire…. Ça risquerait l’ ennui mortel. Et les scénaristes anticipent cette lassitude. Très rapidement ils nous perdent: et si ce n’était pas le bad guy qui a été tué?
Le côté narration a deux voix diminue; ou se diversifie. Il raconte une pièce du puzzle vu par un personnage, Un moment de la relation dans une autre unité de temps ou de lieu, quand les amants ne sont pas ensemble, et plus forcément le même moment vécu avec la sensibilité de ses protagonistes amoureux. Rarement, le principe du double regard sur un même vécu revient, sauf quand les auteurs veulent donner de nouveaux éclairages à des scènes souvent alors initialement décrites par des tiers. Les voix d’ Helen Solloway (Maura Tierney impeccable) la femme de Noah, de Cole Lockhart le mari d’Alison, du frère Scott Lockhart, des enfants Solloway, de l’avocat de famille, viennent enrichir la dualité des regards de la saison 1. L’histoire n’est plus seulement vécue par Noah et Alison, mais c’est une multitude de visions qui font progresser le récit comme on découvre une nouvelle carte de territoire dans un jeu vidéo.
Du coup, si la multiplication des points de vue était le ressort principal de la saison 1, c’est le jeu sur l’unité de temps et la chronologie qui font le sel de la saison 2. Les regards multiples, les vécus des seconds rôles rendent un peu floue la linéarité de l’histoire. À quel moment de la love story se situe-t-on quand démarre la saison 2 ? Pile après l’interrogatoire qui clôt la saison 1? C’est à dire juste à la suite des flash back de la 1? Ok mais alors pourquoi ne revient-on quasi plus en salle d’interrogatoire dans cette saison 2 et pourquoi semblent-t-ils tous « reconstruits » dans une relation établie depuis longtemps? Pourquoi parle-t-on de procès s’ils parviennent à vivre leur aventure sans encombres majeurs? Pourquoi l’ado fille de Noah parle-t-elle d’une relation affective avec un second rôle, quasiment sorti de l’ histoire au fil de la saison 1; relation dont on n’a même pas un moment soupçonné l’existence, peut être parce qu’elle n’a jamais eu lieu l’été de la relation extraconjugale? Qui est cet enfant dans la poussette qu’on voit souvent dans les scènes de tribunal, puisqu’il n’y a jamais eu d’enfant en bas âge dans le schéma de la première saison? Qu’a donné l’interrogatoire de la 1? Ont-ils été relaxés ? Les quelques moments de la saison 2 qui semblent tournés au tribunal ont-ils lieu juste après « l’été de la passion » ou longtemps après la sortie du roman que Solloway passe une saison entière à tenter d’écrire? Et si oui pourquoi, puisque le personnage qui trouve la mort semble quasiment complètement sorti de la vie de tout le monde pendant une grande partie de la seconde saison. Autant de questions et rebonds chronologiques qui fonctionnent comme des flashs, des pièces de puzzle à emboîter progressivement ou des images kaléidoscopiques qui se substituent souvent aux rebonds internes de la double vision de la saison précédente et qui continuent d’entretenir magistralement l’attention au fil de cette « suite » de l’histoire passionnelle entamée en SO1.
Il faut attendre le « season finale » pour qu’on comprenne enfin tout le déroulé de la saison 2: pourquoi les personnages principaux sont interrogés au tribunal, quels sont les enjeux, quelles étaient les zones d’ombre qu’on ne comprenait pas tout à fait jusque là. Le season finale quoi que plus classique dans son procédé, laisse plein de promesses pour la suite, même si on se demande comment tout ceci peut finir bien.
Et puis il y a la photographie. True detective avait frappé très fort l’an dernier avec sa représentation superbe d’une Nouvelle Orleans de guingois. The Affair sublime Montauk, entre la représentation estivante des New Yorkais aisés et ses terroirs pittoresques. Au long des deux saisons, bien plus que la Grosse Pomme qui est ici réduite à des intérieurs Habitat, des appartements et des décors sans âme, Montauk vit comme un personnage à part entière, qui agrippe de ses mains invisibles ses natifs qui n’arrivent à s’en défaire, ses visiteurs qui s’y électrisent. La photographie et la scénographie accentuent ce sentiment au fil des deux saisons. New York est la ville des tentatives de rédemption, de l’anonymat et de l’aseptisation. Montauk est l’histoire, le théâtre des passions et de la chair, le lieu de toutes les nostalgies aussi, de toutes les racines qu’on arrive pas à arracher.
Grande série dans sa manière nouvelle de structurer une comédie de mœurs The Affair confirme aussi le grand talent de Dominic West et Ruth Wilson à développer les subtilités d’un jeu d’acteur que les scénaristes poussent jusqu’à faire rejouer la même scène avec différentes nuances quand elle est racontée ou ressentie par l’un ou l’autre protagonistes, ou à les balancer sur un petit fil de funambule entre passion et raison, colère et sentiments, amour charnel et amour familial, normalité et folie… Passionnant jeu d’acteur, passionnante structure de récit, histoire sans ennui…. Assurément une très bon doublé de 12 épisodes chacun a découvrir sans tarder. Vivement la saison 3
Denis Verloes
The Affair
Série américaine créée par Sarah Treem et Hagai Levi
Avec Dominic West, Ruth Wilson, Maura Tierney, Joshua Jackson…
Genre : drame
12 épisodes de 52 minutes par saison
Première diffusion US en octobre 2014 sur Showtime
Première diffusion France en 2015 sur Canal+
https://youtu.be/BKDB4fqUMtk