Xavier Dorison et Joël Parnotte s’intéressent aux changements avec toutes les confrontations que cela implique : idées, générations, style, normes, etc. Un tableau profond de la dualité, aussi bien par son scénario que par sa mise en image, qui nous plonge à l’orée de la Renaissance.
1537, à la charnière du Moyen-Âge et de la Renaissance, Hans Stalhoffer, Gauvin de Brême et Casper convoient de quoi faire chanceler le dogme catholique en place : une bible traduite en français ! Errant dans les montagnes jurassiennes, l’enseignant d’escrime déchu escorte ses deux compagnons protestants en direction de la Suisse pour y imprimer cet ouvrage suscitant tant de convoitises. Un voyage qui sera loin d’être une sinécure ! Et pour cause, la chasse à l’homme est vite lancée contre ces hérétiques, sous l’impulsion d’un émissaire de la Sorbonne qui envoie sur les traces de Hans, à qui il voue une haine farouche, une horde de montagnards. Face à cette belliqueuse compagnie, les statistiques ne sont pas en faveur des trois proies, mais ce serait oublier que le vieux guide fut le maître d’armes de François Ier. Expérimenté et encore vif, il est bien décidé à traquer ceux qui l’ont pris pour cible.
Bien que la trame du récit s’axe sur cette course poursuite, les auteurs explorent, à travers Le Maître d’Armes, la dualité. Une opposition que l’on retrouve tout au long de l’intrigue : l’affrontement des papistes et des réformistes, l’épée contre la rapière, l’ancienne génération lettrée et pessimiste sur la société face à la nouvelle, candide mais optimiste.
Derrière cette aventure impitoyable et sanglante, Xavier Dorison nous livre une réflexion sociopolitique sur un monde en pleine mutation. Diffuser à tous les saints écrits, jusqu’alors uniquement disponibles en latin, en des termes que chacun peut comprendre était un immense pas que beaucoup de détenteurs de la parole divine n’étaient pas prêts à franchir de peur de perdre le contrôle et le pouvoir que leur conférait la connaissance d’une langue qu’eux seuls maîtrisaient encore. Profondément d’actualité, le propos qu’il développe montre combien les sujets gravitant autour de la spiritualité sont sensibles et cloisonnés par des instances religieuses minoritairement favorables au changement.
De son trait fin, précis et dynamique, Joël Parnotte orchestre à la perfection l’action, notamment par un découpage magnifique des cases. Par des cadrages serrés et intimistes, laissant place aux regards détaillés avec minutie, jusqu’aux vues panoramiques magistrales des montagnes balayées par l’hiver, il fait tour à tour partager au lecteur les émotions de ses personnages et l’ivresse des grands espaces. On est saisi par l’ambiance glaciale, austère et nocturne, mais aussi par le travail réalisé sur les postures de combats, traduisant un gros labeur de documentation tant les séquences semblent chorégraphiées.
Voilà une œuvre très immersive, qui dépasse le cadre de la bande dessinée pour flirter avec la mise en scène cinématographique !
Simon BAERT
Le Maître d’Armes
Scénario : Xavier Dorison
Dessin : Joël Parnotte
Éditeur : Dargaud
128 pages – 16€ 45
Date de sortie : 2 octobre 2015