Pertes de repères, regards différents, insomnies, Dérangés est une œuvre torturée qui entraîne le lecteur dans les sinuosités des pensées, des rêves et de la perception. Il est embarqué dans un voyage initiatique sur lequel il n’a aucun pouvoir, subissant son déroulement du début à la fin !
Il y a des œuvres aussi dérangées que dérangeantes où les mots s’effacent derrière les images. Dérangés de Violaine Leroy, au titre évocateur, est de celles-ci. Elle agit sur le lecteur à son insu.
Construit en trois actes, le récit met en situation trois individus marginaux torturés, qui ne se connaissent pas, et pour qui l’art a une forte emprise sur leur existence.
Le gardien de musée ouvre l’histoire. Méticuleux, précis et maniaque, son quotidien est progressivement bousculé quand il perd la maîtrise des choses qui peuplent son appartement. Lorsqu’il rentre chez lui après sa garde, leur nombre, leur place, rien n’est pareil à ce qu’il a laissé en partant.
Judith entre à son tour en scène. Insomniaque, sa perception du monde est subjective. Elle n’arrive pas à dissocier ses songes de la réalité, au point de ne pas discerner les visages de ceux qui l’entourent.
Nenad vient ensuite compléter ce tableau surréaliste. Maçon retraité, sa vie est bouleversée par une illumination face à l’art contemporain. Tout sera dès lors pour lui prétexte à en devenir, au détriment de sa famille qu’il finit par délaisser. Empreint de tourments, leur quotidien est sujet à des digressions chimériques au tréfonds de l’esprit humain à la recherche d’un sens à l’existence.
Leurs destins s’entrecroisent, se mêlent, jusqu’à atteindre l’apogée de ce voyage initiatique lors d’un dernier chapitre où, enfin réunies, les pièces du puzzle vont s’emboîter.
Comme s’il était difficile de tenir le fil des événements, l’auteur les enchaîne en oubliant parfois des transitions en route. De cette façon, elle évoque les maux de l’âme ou l’incapacité des protagonistes à se concentrer. Elle emporte son public dans les méandres de la folie avec un récit dense et oppressant, malgré le minimalisme des dialogues.
À travers cette épopée immersive, Violaine Leroy interroge l’impact que la création artistique peut avoir sur l’être humain. Tel l’art pouvant être insaisissable, les parcours des personnages le sont aussi. Souvent dépassé par l’histoire, le lecteur erre dans leurs péripéties en ressentant leurs souffrances. Les nombreuses pages s’avalent d’une traite tant il nous faut obtenir des réponses et saisir ces sentiments qui nous sont étrangers.
Le dessin, quant à lui, aiguise les sens du spectateur en jouant avec les émotions. L’anarchie du trait, la déconstruction des planches et le noir et blanc renforcent l’aspect angoissant, intriguant et hypnotisant de cette fable schizophrénique. Le travail incontestable réalisé concernant l’esthétisme de l’ouvrage a pour finalité que l’image l’emporte sur la narration.
Les éditions de La Pastèque nous proposent encore une fois un objet particulier et énigmatique, intéressant, mais qui risque d’en déconcerter plus d’un.
Simon BAERT
Dérangés
Scénario : Violaine Leroy
Dessin : Violaine Leroy
Éditeur : La Pastèque
128 pages – 29 €
Date de sortie : 20 novembre 2015