Mais quel est donc cet étrange animal, ce grand dadais à tête de lapin, qui sort enfin du bois ? C’est Gontard ! Tremblez mélomanes conventionno-vitrifiés !
Deux années que nous suivons ses râles et vociférations poétiques, familiaux, grotesques, volontairement naïfs, sensuels, crus, politiques ou révolutionnaires, qu’il nage à contre-courant, gueule tout haut ce que certains d’entre nous pensent tout bas, qu’il vrille les tympans des bourgeois… qu’il s’en donne à cœur-joie… putain… maman… je rime !
Je dis deux ans… c’est la partie émergée de l’iceberg, parce qu’avant, bien sûr, il y a l’apprentissage, la trime, Les Frères Nubuck (avec son frère Chevalrex… rien que ça) et le talk-over permanent à la cave, samples, casque sur les oreilles, longue langue abyssale, fractale et collée au micro… et un paquet de mix-tapes sorties en totale indépendance sur le bandcamp de l’affreux (Travestis, Comment Ramener Un Noyé A La Rive, Rivoluzionari, etc…).
Il aurait pu en rester là Gontard! : vautré dans le sofa de ses petites pépites de spontanéité anarchisante bricolées maison et adoubé par l’underground francophile. Il aurait pu… mais non. Quelques péripéties plus loin, soutenu par la bande des graisseux pistoleros bardés de cuir qui l’avait accompagné sur Rivoluzionari, le voilà qui déboule avec un album signé chez Ici D’Ailleurs – label qui nous avait déjà bien chatouillé le système auditif en novembre 2015 avec le projet Bruit Noir.
Repeupler est à l’image de son créateur… hétéroclite et paradoxalement homogène… salement inaccessible par endroits mais orné de belles entrées fleuries aux odeurs de jasmin. C’est un premier album qui renifle l’étape transitoire et les lois de l’évolution. Le petit lapin décadent perd ses poils, se dresse sur ses papattes arrière et revêt son costard de chanteur bizarre mais assumé. Il en a la carrure maintenant.
Moitié morceaux déjà parus mais réarrangés, moitié nouvelles compositions parlées ou chantées.
Dans le détail ça donne quoi ?
1. Vince Taylor :
ouverture arabisante (à noter que le Maghreb par ses sonorités est une sorte de fil rouge de l’opus) puis virage bien rock et profession de foi : Gontard ! se présente.
2. La Saison Des Grands Froids :
super réorchestration cold-wave pour ce titre de Comment Ramené un Noyé à La Rive. Final à pleurer avec nappes de synthés façon Closer de Joy Division.
3. Inutile D’Affranchir :
Petite perle de variété-coup-d’œil-dans-le-rétro à la Yves Simon vieille-école. Grosse réussite et grosse surprise. L’appât presque, la fameuse entrée fleurie aux odeurs de jasmin !
4. Repeupler 5 :
Très beau texte parano et glacial. Facture gontarienne classique.
5. Mon Frère est Fils Unique :
autre morceau de Comment Ramener… guitare sixties, basse lancinante et reprise du motif oriental.
6. Repeuplons 1 :
re-fond arabisant… talk-over énervé, dynamique, combatif qui fait la nique au dépressif Repeupler 5.
7. La France Des Epiciers :
ahhh… La France Des Epiciers… magnifique texte et petit bijou de Comment Ramener (encore…). Le petit sacrifié de l’affaire à mon goût tant j’adorais la première mouture beaucoup plus accrocheuse. Servi ici dans une version lente qui, malgré tout, ne nuit en rien à l’efficacité et l’actualité du message.
8. Cratère(s) :
Gontard ! pur et dur, abrupte, rocailleux, obscur, expérimental, hypnotique.
9. Sanglier :
petit piano cinématographique, motif de la mort, de la nostalgie et du renouvellement cyclique. Très joli… émouvant.
10. Sauvagerie Tropicale :
Tube radical et cabaret !
11. Repeuplement 3 :
dernier volet du triptyque Repeupl… Violoncelle, piano + monologue amer et solitaire.
12. Oh Moi ! :
autre rescapé de Comment Ramener Un Noyé… mon texte préféré de Gontard ! Petite ritournelle quasi-enfantine.
13. Rivoluzionari :
diamant noir au riff parfait. Ultra-rock. Seul ancien morceau à n’avoir pas été réarrangé. C’est dire !
Tout ça est donc un joyeux bordel difficilement canalisable, hyper instable, ficelé vite fait avec une ou deux ruses de sioux mais tenu d’une main ferme par le grand talent d’écriture et d’interprétation de Gontard !, reconnaissable immédiatement, qu’il soit posé sur n’importe quel type de rythme et de son. La vraie unité de cet album, celle qui le rend à mon avis si précieux, se trouve là.
Gontard ! est Gontard !… droit dans ses pompes, bouffon maudit de la République qui te crache (sa vérité) à la gueule. Planqué ou non derrière son masque, son identité est si forte, qu’à elle seule, elle fait de ces treize morceaux un truc global qui va au-delà de la simple œuvre musicale et dont les éléments, même différents, avancent d’un bloc vers le repeuplement salvateur et c’est jouissif.
Stéphane Monnot
Gontard! – Repeupler
Label : Ici d’ailleurs
Sortie : 5 février 2016