Une histoire de routiers, un drame passionnel, un portrait de la France profonde de l’après-guerre, un texte pour faire revivre Pierre Mérindol, auteur oublié qui côtoya Doisneau dans le Paris des années 50.
« L’histoire de cette histoire commence au comptoir… », comment bouder un livre qui commence au comptoir, même s’il ne s’agit que de la préface, une préface goûteuse comme une assiette de charcuterie dégustée à l’heure du casse-croûte sur le zinc d’un bar, avec un pichet de brouilly ou de côte du Rhône. Un morceau d’anthologie qu’il ne faut surtout pas éluder. Cette histoire sent le cambouis, le gasoil, la goldo froide ou fumante selon les moments, le chou, le poireau ou un autre légume encore selon le chargement transbahuté à l’arrière et, les jours de bonne fortune les relents des étreintes passagères. C’est un road movie des années cinquante, une histoire de routiers qui s’ennuient à longueur de journée dans un camion poussif qui se traîne entre Marseille et Paris pour garnir le ventre affamé de la capitale.
Avec son pote Edouard, le narrateur, fait la route sillonnant la France selon l’axe nord-sud, où l’inverse, en faisant halte dans des auberges ou des hôtels dont les tenanciers sont, à la longue, devenus des amis, la nourriture est riche et goûteuse, les vins ne sont pas frelatés, le gîte est bon et la patronne pas toujours farouche. La route est leur résidence, l’hôtel et l’auberge un lieu de passage indispensable pour satisfaire les besoins élémentaires. Une vie simple, sans histoire, réglée par l’obligation de livrer à une heure bien précise, une vie qui laisse le temps de flâner le soir, le dimanche et les jours sans frets.
Et pourtant, un jour, Edouard arrête le camion pour prendre à bord une jeune femme seule sur le bord de la route, il n’espère qu’une étreinte passagère mais la fille s’installe bientôt à bord pour faire la route avec les deux amis s’incrustant de plus en plus dans la vie d’Edouard au point que ce dernier finit par acheter un bar à la Moufte pour installer sa belle à demeure. Ainsi va la vie jusqu’à ce qu’un ancien pote d’Edouard débarque à Paris pour lui demander d’accueillir son fils venu suivre ses études à Paris. Le jeune homme donne un coup de main à la tenancière du bar pendant que le routier sillonne la France mais celui-ci n’est pas tranquille, il a flairé l’embrouille, le drame se noue…
Le préfacier, Philibert Humm, prévient : « Le roman justement, puisque c’est de lui qu’on cause, n’est pas un chef-d’œuvre inconnu. Autant vous le dire tout de suite. Et c’est précisément ce qui nous plaît ». Non, ce roman n’est peut-être pas le livre inoubliable qu’on imposera aux potaches de France et de Navarre, c’est une histoire simple, une banale tragédie domestique dont regorgent les journaux, évoquant les gens simples qui se démenaient pour construire une vie décente après avoir traversé une guerre horrible. C’est aussi un portrait de la France de l’après-guerre avec ses bistrots, ses stations-service, ses hôtels de préfecture, ses routes sinueuses et ses lourds camions que nous guettions, sur le bord des routes, avec une grande curiosité. C’est la France de la reconstruction, l’aube des trente glorieuses, une bouffée de nostalgie qui évoque l’enfance de ceux de ma génération. C’est aussi la preuve qu’il ne faut pas laisser les auteurs comme Mérindol enterré à jamais dans le cimetière des écrivains oubliés. N’oublions pas que cet auteur, avant de faire une longue carrière journalistique au Progrès de Lyon, a traîné sa misère du côté de Montparnasse avec Robert Giraud et Robert Doisneau avant que celui-ci devienne célèbre et laisse ses camarades de bohème orphelins.
Denis Billamboz
Fausse route
Roman français de Pierre Mérindol
Éditions Le Dilettante
128 pages – 15€