Peter Sollett donne une adaptation fictive de l’histoire vraie de Laurel Hester et Stacie Andree, combattantes de l’égalité. Free Love est alors didactique, formel mais tellement poussif.
Il est sûr que Free Love laisse un malaise, tant on aurait aimé l’apprécier. L’accueil du public et de la presse américaine en disent long sur ce film. Pas du tout racoleur de foule. Pas vraiment bon. Et quand on regarde, ce mercredi 10 février, les quelques spectateurs, on ne peut que dire que ce n’est pas en France que le film trouvera son écho, ou du moins son public. L’absence de critique presse française est aussi révélatrice : triste réalité de ne pas encenser un film qui n’est pas brillant, mais ne pas pousser dans le ravin un combat légitime et courageux, déjà éclopé par sa sortie américaine. Alors, comment doit-on voir ce film ? Comment doit-on y réfléchir ? Oublier le cinématographique ? S’accrocher à l’acte militant ?
Nous sommes dans les années 2000. Laurel Hester, inspecteur du New Jersey à la carrière brillante, rencontre Stacie Andree, mécanicienne. D’un match de volley-ball à un concert de country, elles vont très vite s’aimer puis s’installer ensemble dans une maison. Cette histoire des plus normales va se voir interrompue par un pronostic médical : Laurel est atteinte d’un cancer et la mort semble inévitable. A partir de ce moment, les deux femmes vont se livrer à un véritable combat pour que Stacie puisse toucher une pension au décès de Laurel. Ce combat sera celui de deux amoureuses contre des politiciens un peu trop bien pensants, une Amérique un peu trop conservatrice. Dans l’histoire des droits LGBT, ce combat pour l’égalité reste un des actes les plus marquants.
Alors que Free Love aurait pu être la passion, la lutte et le plaidoyer, le film s’enferme dans une linéarité où se bousculent la petite et la grande histoire, sans jamais réussir à trouver le véritable équilibre. L’approche très terre à terre ne laisse que de l’attendu. Des dialogues à la mise en scène, tout est très formel. Que dire de la première partie du film, celle où Stacie et Laurel se rencontrent, se draguent et choisissent de vivre ensemble ? Tout est ici, la parfaite histoire d’amour. Les mots sont ceux entendus dans toutes les comédies romantiques, de la demande de numéro au premier baiser devant la mer. Seul l’homosexualité non assumée de Laurel cherche à troubler cette idylle. Peut-être qu’ici, nous voyons l’intérêt du scénario proposé par Ron Nyswabner : le film donne des portraits de personnages très caractéristiques avec des articulations précises et des symboles qui auraient pu permettre des confrontations psychologiques plus fines. Un couple construit sur une certaine opposition et donc complémentarité.
Pourtant, par sa construction si linéaire et prévisible, Free Love est vite à bout de souffle et nous laisse à distance de bien d’émotions. Très rapidement, on ne peut que constater que rien n’arrivera pour surprendre ou donner de l’impulsion à un combat si nécessaire. L’arrivée d’un avocat gay et juif à l’audace et l’humour vifs ne pourra offrir une bouffée d’air qu’un cours instant. Free Love tend malheureusement à tomber dans beaucoup de clichés, ce qui étouffe son rythme et assomme rapidement les bonnes initiatives. Et tout au long de ce difficile parcours, le film s’emploie à parler de beaucoup de chose sans vraiment aller au bout. C’est surement là son plus grand défaut. Évoquant tout et rien à la fois, il semble que la seule volonté de Peter Sollett est d’arriver au bout du récit, en prenant le chemin le plus plat et ennuyeux.
Cependant, ce qui est le plus « rassurant » est d’observer que Free Love n’arrive pas à toucher parce que son combat semble un peu distancé par l’actualité. Commencé en 2008, le film aurait pu être un acte militant, mais l’inscription du mariage homosexuel dans le droit américain l’été dernier lui a surement enlevé un certain rôle. Du film politique, il devient le simple témoignage d’un combat passé. Un hommage à deux femmes plus qu’un acte engagé. Bien que la distance à parcourir pour les droits LGBT soit encore très longue, le film de Peter Sollett ne semble pas assez investi pour s’enrôler dans un tel périple. D’ailleurs, le titre américain Freeheld résonnait de faits politiques, le titre français Freelove ne renvoie qu’à une histoire d’amour. Symptôme d’un militantisme à moitié avoué, à moitié caché.
Si ce n’est pas par la mise en scène que Free Love peut s’avérer intéressant, son casting apparait comme solide. Julianne Moore, sûrement une des meilleures actrices que le cinéma américain ait connues, se métamorphose dans une descente maladive où sa seule force sera de se battre pour une certaine justice. Là, son brushing impeccable qui finalement tombera sous les radiations du traitement n’est que le témoin de cette transformation corporelle et mortelle. Ellen Page, dans sa première apparition cinématographique depuis son coming out, prend les traits d’une Stacie forte qui malgré tout se laisse peu à peu gagner par les sanglots et les tremblements. Ensemble, les deux actrices portent la volonté de coller à la réalité, avec une certaine conviction, une certaine urgence. Quand à Steve Carell et Michael Shannon, ils forment la dualité masculine : l’un est gay, l’autre non; l’un est extraverti et l’autre est réservé. Ces deux personnages, bien que secondaires, apportent une note de recul par leur interprétation maitrisée et sincère. Bien que personnages périphériques, ils semblent être là où il faut : à la fois moteur et temporisateur. Dans cette composition à quatre, seuls les acteurs tendent à maitriser un équilibre entre amour, engagement, sobriété et sursaut.
Free Love porte les symptômes d’un film américain gagné par la trop grande nécessité de raconter une histoire du début à la fin. Dans tout ça, Peter Sollett ne semble pas arriver à sortir une véritable émotion ou une véritable force. Seuls les acteurs se dévouent à donner du coffre à une histoire qui pourrait pourtant tant résonner encore. Alors, peut être que la meilleur manière de se rappeler ce combat et rendre hommage à ces deux amoureuses, est de regarder le documentaire oscarisé et multi récompensé : Freeheld.
Juliette Durand
Free Love
Film Américain de Peter Sollett
Avec Julianne Moore, Ellen Page, Steve Carell…
Durée : 1h 44min
Date de sortie 10 février 2016