Dans l’interview qu’il nous a accordée, Michka Assayas revient sur son dernier roman Un autre Monde. Il parle aussi de son expérience en tant que musicien et évidemment du rock en général.
Dans son dernier livre, Un autre monde, Michka Assayas évoque son amour du rock à travers ses souvenirs de jeunesse et ses débuts comme critique rock, mais il raconte également l’aventure musicale et humaine qui l’a conduit il y a quelques années, pour se rapprocher de son fils Antoine, à monter un groupe avec lui. Dans un entretien aussi agréable que passionnant, et malgré une sale bronchite, l’auteur du dictionnaire du rock nous a consacré un moment pour évoquer la genèse de ce roman, mais aussi pour faire le point sur projet musical et sur le rock d’hier et d’aujourd’hui.
Pourquoi avoir écrit Un autre monde, pourquoi avoir eu besoin de raconter cette expérience ?
Au fil des semaines, en me voyant exister soudain comme musicien novice, et par le coté un peu absurde de la situation, avec d’un côté, un fils problématique, et de l’autre, un père copain post-soixante-huitard, je me suis rendu compte que j’avais là un vrai sujet à développer, de la matière littéraire à portée de main… et puis c’était aussi l’occasion de faire le point, de régler quelques comptes avec moi-même… le fait d’avoir un enfant change beaucoup de choses dans la vie, ça change surtout votre manière de voir et d’appréhender les choses dans beaucoup de domaines.
Quelle a été la réaction d’Antoine, votre fils, quand il a su que vous travailliez à l’écriture de ce livre, et sa réaction ensuite après sa lecture ?
Je ne lui ai pas parlé de mon projet au départ. Une fois le livre terminé, je lui ai dit que je parlais de lui dans un roman, que je racontais des choses assez personnelles nous concernant. Il savait que j’avais déjà évoqué pas mal de souvenirs de famille dans mes précédents romans, donc il n’y a pas eu vraiment d’effet de surprise. Mais il ne m’en a pas parlé directement à chaud. Il est parti en voyage au Vietnam avant que le livre ne sorte, avec dans ses bagages les épreuves qu’il a lues là-bas. Et quand il est rentré en France, on n’a pas parlé du livre, mais dans son regard j’ai vu qu’il était super fier de l’expérience de groupe vécue avec moi et les autres… il a juste été un peu heurté par la quatrième de couverture qui laissait penser qu’il semblait mal parti dans la vie.
Avec le recul, aujourd’hui, je me rend compte que cette expérience m’a permis de créer une sorte d’état de grâce, un moment de bonheur partagé dans une relation difficile entre un père et son fils adolescent… mais sans pour autant que tout soit réglé par rapport à mes angoisses de père.
Où en êtes-vous aujourd’hui dans votre expérience de musicien ? Continuez-vous à jouer en groupe ?
Oui, je continue toujours à jouer. On a fait, le 26 janvier dernier, un concert à la Maison de la Poésie à Paris, qui a été l’occasion de réunir des amis, tout ça dans un esprit très familial. Durant cette soirée, j’ai fait une lecture d’un extrait du livre et donc un concert avec 7 ou 8 chansons. J’étais accompagné pour l’occasion de mon fils Antoine, à la batterie, de mon ami Régis Cruzet, du guitariste de Barbara Carlotti, Jean-Pierre Petit, de Marc Abry au trombone, et de Marc Pradel à la trompette. Moi, je jouais de la guitare baryton, du Saz (un instrument turc), du ukulélé et de la basse.
Aujourd’hui, après tout ce temps à expérimenter, j’ai l’impression d’avoir trouvé une formule assez originale. Par la suite, j’aimerais créer un spectacle où je mélangerais des moments de récit sur mon expérience, sur ce qu’à pu représenter la musique pour moi, tout ça entrecoupé de morceaux, avec toujours à l’esprit l’idée de partage. J’aimerais aussi faire des maquettes, enregistrer des choses de manière plus sérieuse et plus poussée que ce que j’ai fait jusqu’à maintenant.
Mais je me rends compte aussi que ce que j’aime avant tout c’est la scène. J’ai besoin de me révéler, de me mettre à nu, de plus en plus, et d’une manière différente de ce celle qui consiste à écrire des romans ou des critiques. J’ai envie aujourd’hui d’intéresser le gens avec ma musique. J’ai toujours eu en moi cette forme d’impatience, avec l’envie d’arriver très vite à un résultat.
Votre retour sur France Inter, l’arrivée de Very good trip cet été, puis finalement sa reconduction tardive à la rentrée, a ravi énormément de gens. Comment vivez-vous ce retour sur un média de grande audience comme France Inter après avoir passé quelques années sur France Musique ?
Je suis très heureux d’avoir intégré la grille de France Inter ! Laurence Bloch était très satisfaite de l’émission durant l’été, et suite au départ en retraite d’Alain Le Gouguec qui animait 116 rue Albert Londres, elle m’a proposé de revenir le dimanche de 16h à 17h. Pour moi cette arrivée (…ou ce retour), c’est comme une sorte de commencement pour moi. Chez Lenoir ou ailleurs, je n’étais que chroniqueur, mon statut était très différent. Avec Very Goood Trip, j’essaie faire une émission vivante, en essayant de donner du relief à la musique, en la délestant de son côté parfois superficiel… c’est une émission dans laquelle j’évoque aussi le contexte historique, social, politique de l’époque des groupes et des disques dont je parle. J’aime aller à l’encontre des idées reçues à propos de certains groupes, et le fait d’avoir travaillé pendant des années sur le dictionnaire du rock m’a vraiment permis de creuser un peu plus, de découvrir des tas de détails et d’anecdotes sur les groupes.
Ce n’est un secret pour personne, le rock a de plus en plus de mal à se renouveler, avec des revival qui se succèdent sans cesse. Comment analysez-vous ces courants, ces allers et retours entre les époques, vous qui avez connu les originaux et les clones actuels ?
Je partage le même point de vue, Comme dans le jazz par le passé, je trouve que le rock s’académise de plus en plus. Je m’aperçois que ce qui m’a toujours intéressé dans le rock, et plus encore aujourd’hui, en tant que musicien, c’est d’essayer d’aller vers des choses qui n’ont jamais été faites avant. C’est ce qui est sans doute très ambitieux, mais aussi très excitant. Par exemple, à l’époque de groupe comme Joy Divison ou U2, personne n’avait joué comme ça avant eux. Ce qu’il créaient était vraiment novateur. Les groupes d’aujourd’hui ont perdu cette forme d’innocence que pouvaient avoir les groupes des années 80 ou d’avant, Ils étaient dans une forme de pénurie, de dénuement qui constituait finalement un avantage, une force d’une certaine manière. Je pense que quand tu as écouté trop de musiques, quand tu sais trop de choses, tu deviens stérile… tu ne fais que recomposer. Ce qui m’intéresse dans la création musicale, c’est ce côté Punk, aller vers l’inconnu, s’essayer à des choses que l’on ne maitrise pas, tâtonner, recommencer… je me souviens, au début, quand The Cure ou New Order ont donné leurs premiers concerts à Paris, c’était catastrophique. Et ça on a un peu tendance à l’oublier… Aujourd’hui, on ne voit plus que le côté « produit fini ». On oublie que des tas de grands groupes ont commencé de manière assez laborieuse. George Martin disait que même les Beatles, à leurs tous débuts, étaient très mauvais… mais c’est l’alchimie de ces quatre types ensemble, c’est le côté foncièrement humain du groupe qui a pris le dessus et a donné ce que l’on connaît aujourd’hui… et U2 c’était pareil au début ! Même en étant au départ des musiciens très moyens, des groupes, par leur volonté d’avancer, par leur intelligence, leur sensibilité, leur orgueil, leur ambition, ont réussi à devenir des monstres.
Quels sont vos modes de consommation de la musique : Plutôt CD, Vinyle ou êtes-vous passé définitivement au numérique en allant sur les plateformes de streaming ?
En voiture j’écoute encore pas mal de CD. Sinon, pour préparer mes émissions, j’utilise spotify car c’est très pratique, ça me permet de passer très vite d’un album à l’autre… dans ce cas c’est plus dans un but professionnel on va dire… Quant au vinyle, c’est rare que j’en écoute. Il m’arrive parfois de réécouter le double blanc des Beatles parce que je l’ai à la maison, du coup ça me ramène à une autre époque, c’est une émotion particulière… mais globalement, je ne suis pas un fétichiste du support.
Vous allez un peu sur internet pour découvrir des albums, des groupes ?
Je ne connais pas trop les blogs français, je lis surtout Uncut et Mojo qui sont mes principales sources et Q parfois aussi ou encore Pitchfork, mais ils ont des goûts un peu snobs je trouve. Ils mettent des notes calamiteuses à des trucs que je trouve géniaux ! (rires)
Interview réalisée par Benoît RICHARD le 10 février 2016.
Crédits photo : Patrice Normand/©Patrice NORMAND/Opale/Leemage
Un autre monde – Michka Assayas – Rivages – 204 pages – 18€