Olivier Longre revient avec un second album comme une interrogation du passé. Fruit de la découverte fortuite de la correspondance de ses arrière-grands-parents durant la première guerre mondiale.
La musique peut-elle interroger la mémoire ? Peut-elle faire office de témoignage ? Peut-elle ramener à la surface un univers, une époque, des personnes ? C’est un peu la question que se pose Olivier Longre dans son second album solo, Lettre à Jeanne.
A travers ces onze vignettes pour la plupart instrumentales, c’est la boue des tranchées de 14 que l’on ressent, l’amour d’un soldat pour sa fiancée loin du front. A des années lumières du Ypres des Tindersticks, tout en ombres, c’est la vie qui s’exprime dans cette Lettre à Jeanne.
Vous ne connaissez pas Olivier Longre et vous avez bien tort. Auteur d’Antique Melodies sorti en 2013 mais également collaborant de manière régulière avec Amélie Les Crayons, Olivier Longre sait à partir de peu constituer des scènes si évocatrices que les images passent devant vos yeux comme une lanterne magique qui n’en finirait pas de tourner.
Il y a du Olivier Longre dans Amélie Les Crayons et il y a du Amélie Les Crayons chez Olivier Longre.
Vous ne connaissez pas Amélie Les Crayons et vous avez bien tort. Des artistes de la nouvelle scène française, c’est une des plus discrètes. Un pied dans l’envie de raconter des histoires, un autre dans une envie de ne pas se prendre qu’au sérieux. Encore un autre dans une douceur que ne renierait pas Anne Sylvestre. Au milieu de tous ces pas chassé-croisé, il y a une artiste, une vraie, singulière et forte. Et encore derrière, il y a un certain Olivier Longre, arrangeur des envies de son amie.
Avec Lettre à Jeanne, Olivier Longre interroge son rapport à son passé, celui qu’il n’a pas vécu, à sa famille, à la vie avant lui.
Tout commence avec la découverte d’une vieille boite en métal en fouillant dans le grenier de la vieille maison familiale.
C’est le début de l’été, on est en quête de fraîcheur. Sous les combles, sans doute l’ombre sera-t-elle plus accueillante. La petite échelle fait un petit bruit sec et vermoulu.
Un petit regard par la fenêtre et ce pré presque jaune de trop de soleil.
L’obscurité nous éblouit, l’œil met du temps à s’accommoder. C’est un bric-à-brac fait de mannequin de couture, de vieilles valises.
Au sol, au milieu de ce chaos poussiéreux, il y a cette petite boite insignifiante, cette petite boite pareille à bien d’autres petites boites.
Sans se l’expliquer, on l’ouvre et là c’est l’histoire d’un autre, de deux autres qui apparaissent.
C’est sans doute ce qu’a vécu Olivier Longre. La découverte fortuite d’une petite boite de métal qui l’attendait, lui, pour redonner vie à deux personnes depuis longtemps disparues.
Lettre à Jeanne, ce sont ces lettres retrouvées dans cette petite boite, une centaine de lettres et de cartes postales. La correspondance entre son arrière-grand-mère Jeanne et son arrière-grand-père Francis depuis leur rencontre jusqu’au moment où Francis est envoyé au Front en 1914.
Lettre à Jeanne a beau être un album instrumental, il n’est pour autant jamais muet. Olivier Longre y raconte les mots d’amour et de peur de ces gens-là, cette manière tellement différente d’appréhender le monde. Ces gens d’un autre siècle.
Entre le livret du cd, ces onze titres et le blog d’Olivier Longre, c’est le drame en constitution de deux êtres communs semblables à nos aïeuls. La dominante de couleur, ici, est le sépia. Ce sépia des vieilles photos de famille.
Pourtant tout ici est vivant, comme de notre présent.
Chez Olivier Longre, il y a cette science du détail dans ces haïkus comme des décharges émotionnelles.
On y retrouve la mélancolie rieuse de Pascal Comelade, la méridionalité de Nino Rota, le minimalisme économe de Migala, la fragilité des B.O d’Eric Demarsan ou de Gabriel Yared.
Suggestive, jamais plombée, la musique d’Olivier Longre refuse la facilité d’une mise en scène trop évidente. Toujours lunatique, toujours solaire, elle est avant tout onirique.
C’est sans doute ce flou-là, ce voile rêveur qui permet la remontée des dialogues avec le passé.
Les trains qui montent vers le front, l’anticipation des peurs à venir. Un road-movie entre Lyon et les terres de Flandres au rythme des vélos des facteurs qui transportent les courriers des amants, un road-movie au rythme du pas de Francis vers son destin. Un road-movie au rythme des espoirs de Jeanne.
Confusément, sans se l’expliquer vraiment, on s’attache à ces personnages, on les cherche et on les trouve dans les entrelignes de ces mélodies.
La gravité reprend toujours ses droits, elle prend la couleur des terres muettes, des sols saignants, des tranchées pleureuses.
Le temps n’a pas de prise. Ils ne sont plus là tous les deux. Pourtant, l’on dit que dans les années 70, dans une petite rue de Lyon, on pouvait voir une vieille dame très âgée derrière sa fenêtre avec son regard qui se perdait dans le feuillage de l’arbre qui volait la lumière de son appartement.
Ses yeux semblaient emprunter d’autres chemins, ceux de sa jeunesse. Cette vieille dame, c’était Jeanne face à cet arbre que Francis, jardinier, avait planté 60 ans plus tôt.
On dit que l’arbre est toujours là aujourd’hui. On dit également que parfois aussi y apparaissent les empreintes de pas de deux personnes qui se sont enfin retrouvées.
Greg Bod
Olivier Longre – Lettre à Jeanne
Label : Neomme
Sortie : 5 janvier 2016