A jamais orphelin de l’absence de Stina Nordenstam, ce cinquième album d’Anne Garner, comme une apologie de la fragilité, de l’économie de moyens n’en finira pas de vous briser le cœur.
Comment faîtes-vous pour découvrir de la musique aujourd’hui ? En fouillant dans les bacs de votre disquaire préféré, en farfouillant tel un monomaniaque affamé de nouveautés dans les pages de la presse spécialisée sur papier glacé, en quête du Saint Graal, de la pépite ultime. En furetant entre les pages virtuels de votre webzine préféré.
Comment ne pas se laisser déborder par son enthousiasme quand la proposition de découverte est aujourd’hui aussi infinie qu’elle l’est devenue avec Internet ?
Tout passionné de musique de nos jours m’évoque cette image du vieux mineur qui va au charbon dans le fond des trous noirs à la recherche de la plus belle pièce, du filon. Bandcamp, j’y passe mes jours et une partie de mes nuits. C’est ainsi que j’ai découvert le travail de l’anglaise Anne Garner avec son quatrième album, Be Life sorti sur le label Slowcraft Records.
Vous ne vous êtes jamais remis de la rareté de la divine Stina Nordenstam. La voix fragile d’Alison Shaw résonne encore en vous. Julianna Barwick ne vous quitte jamais. Vous ne pouvez dans ce cas passer à côté de Be Life.
Il est des œuvres comme des apologies de la fragilité, de l’économie de moyen pour plus de brisures au cœur. Ce nouvel album de Anne Garner est de ceux-là. Entre la mélancolie soyeuse de Kate Bush, la flamboyance des débuts de Goldfrapp et la science du murmure de Liz Frazer, Anne Garner occupe petit à petit son propre univers, son propre terrain.
Jamais démonstrative, toujours suggestive, Be Life est loin des lyrismes crâneurs. Il y a la beauté maritime des grands larges dans All That’s left, entre minimalisme circonspect et douceur orientale involontaire quand l’instrumental Soft Eyes nous balade du côté de The Album Leaf qui aurait rencontré Stars Of The Lid.
Pourtant, malgré cette aveuglante fragilité, il ne faudrait pas limiter Anne Garner à une silhouette évanescente. Sa musique est bien plus subtile, n’hésitant pas à aller piocher dans une celtitude organique mais jamais appuyée car elle pourrait devenir repoussoir.
Ici tout est un savant dosage de délicatesse et de hardiesse. Chez d’autres plus emphatiques, Wherever you go ne serait pas l’arrache-cœur qu’il est chez l’anglaise.
Anne Garner a bien compris, elle, que l’émotion ne peut naître que de la modestie dans le propos. Elle ne nous dit pas grand-chose mais l’importance est dans le choix des mots, dans l’intensité de sa voix. Dans cette science du silence sans doute aussi, de celle qui apprivoise les non-dits, de celle qui tutoie les murmures.
C’est la rencontre improbable entre les ritournelles de Cole Porter et l’authenticité radieuse de Molly Drake. C’est l’évidence de la rencontre avec la beauté pure. Avec la grâce. Be Life se termine par une longue plage silencieuse d’une vingtaine de secondes comme pour mieux contribuer de ce contraste qu’était cet échange avec Anne Garner.
Laissez donc monter les murmures et laissez-vous envahir par le silence occupé de la vie qui bat dans les veines d’Anne Garner.
Greg Bod
Anne Garner – Be Life
Label : Slowcraft Records
Sortie :19 juin 2015