Retour sur le deuxième album de Backderf, une comédie déjantée dans l’univers de la scène punk US au début des années 80.
Au tournant des années 80, Akron, « capitale du caoutchouc », était frappée de plein fouet par la crise automobile. C’est dans cette ville industrielle et des plus quelconques de l’Ohio qu’a prospéré le mouvement punk rock, en grande partie grâce à son temple, The Bank, établissement bancaire reconverti en salle de concerts. Derf Backderf, originaire de la région, se sert d’un personnage fictif et haut en couleurs, Otto alias « le Baron », pour évoquer sa jeunesse dans cette ville que le Melody Maker avait à l’époque surnommé « La nouvelle Liverpool ».
Décidément, il semble que Derf Backderf ait une attirance pour les personnages marginaux et décalés. Après Mon ami Dahmer, où il évoquait un camarade de classe qui devait par la suite devenir un célèbre serial killer, le dessinateur américain nous fait revivre, à travers ce « Baron », personnage fictif et déjanté, la période glorieuse (pour qui est fan de rock évidemment, car pour les évangélistes pudibonds et autres timbrés de Dieu, c’était une véritable malédiction) où la ville d’Akron se fit connaître autrement que comme capitale mondiale du caoutchouc, à savoir comme une pépinière de talents punk rock (Devo et Chrissie Hynde des Pretenders étant ses représentants les plus connus). La ville a vu défiler à The Bank, nombre de groupes et artistes emblématiques de ces années comme The Clash, Klaus Nomi, The Ramones, Ian Dury and the Blockheads…
Mais ce qui s’imposait alors comme une contre-culture ne plaisait pas à tout le monde, loin s’en faut. Les gardiens de la morale veillaient au grain, et n’hésitaient pas à surveiller les concerts et à interpeler violemment les artistes se livrant à des actes « inconvenants », voir notamment le passage édifiant (et drôle malgré tout) avec Wendy O.Williams and the Plasmatics.
Tirés de faits réels et de souvenirs personnels de Backderf, Punk Rock et Mobile Homes se veut aussi et surtout une évocation joyeuse et foutraque, qui rappelle par bien des aspects les Fabulous Freak Brothers, avec ce sympathique Baron qui au départ n’avait pas toutes les cartes en main pour se sortir d’un milieu sordide (sa famille vivait chichement dans un parc de mobile homes, avec pour seule distraction la télé et la picole), mais parvint à se distinguer par sa personnalité baroque et son aplomb hors du commun. De façon surprenante, l’auteur renforce par son graphisme vertical si particulier le côté hilarant de l’histoire, alors qu’il lui conférait une touche vaguement inquiétante dans Mon ami Dahmer. On ne peut pas dire que ce soit joli – d’ailleurs Backderf s’en moque bien de faire joli – mais c’est stylé et soigné, et au final on se dit que ces personnages rectangulaires pas trop sexys collent parfaitement à cet univers de contre-culture.
A lire pour se payer une bonne tranche de rigolade rock, d’un rire libérateur après le rire jaune de l’opus précédent, même si selon moi ce dernier se place tout de même au dessus.
Laurent Proudhon
Punk Rock et mobile homes
Titre original : Punk Rock and Trailer Parks
Scénario et dessin : Derf Backderf
Editeur : Ça et Là
160 pages – 19 €
Parution : 15 février 2014