Disque de synthèse pour Matt Elliott, disque d’équilibre aussi et disque faux-semblant pour un septième album solo comme une nouvelle variation du désespoir.
Il est des musiciens dont il est dit qu’ils font toujours le même album. De disque en disque, à nourrir une même obsession, un même goût pour une certaine monomanie qui souvent dans l’esprit de ceux qui l’énoncent peut rimer avec monotonie, douce atténuation de l’ennui.
Pourtant, un peu à l’image des peintres, des photographes, sans doute ces musiciens fouillent-ils toujours plus dans leurs angoisses pour en esquisser milles et une variations. Il en est ainsi de Lambchop, de Get Well Soon qui revient avec un nouvel album, Love , sur lequel nous reviendrons très bientôt dans Benzine. Il en est ainsi du sombre Matt Elliott, auteur de déjà 7 albums solo et d’ici, The Calm Before .
Variations ne veut pas dire forcément répétition. Chez Matt Elliott, c’est dans les presqu’imperceptibles détails qu’il faudra aller chercher et trouver l’inédit. Est-il nécessaire de rappeler le parcours de ce monsieur issu de la scène électronique du Bristol de la moitié des années 90 qui tentait de structurer le chaos au sein de Third Eye Foundation.
20 ans plus tard, alors qu’Ici D’Ailleurs, son label fête l’anniversaire avec la réédition de son album inaugural, Semtex, il est intéressant de se poser et de faire le bilan sur le parcours entrepris par l’anglais.
D’un The Mess We Made magnifique, sombre mais encore sur le territoire de son groupe, Matt Elliott n’a finalement fait que poursuivre une quête de légitimité. Légitimité à dire, à chanter, à écrire les mots, à assumer son désespoir, à être un musicien et non pas seulement un bidouilleur de génie.
On a découvert sa passion pour une musique des Balkans, des pays de l’Est bien loin des côtés cartes postales trop faciles de Beirut, dans sa trilogie Songs. On y voyait un chanteur qui s’affirmait, un être humain qui cessait de planquer sa pudeur derrière un mutisme crâneur.
Cela plaisait, tant mieux !!!
Cela déplaisait, peu importe.
The Broken man méritait bien son nom tant on y sentait les états d’âme de Matt Elliott. Les écoutes ne se firent pas sans malentendu tant l’expression de son désespoir se faisait sans filtre. Sans doute, cette douleur à l’écoute était difficile à assumer. Il est souvent dur de se voir tendre un miroir.
C’est avec un Only myorcardial infection can break your heart forcément plus apaisé qu’il revenait il y a deux ans. Plus apaisé certes mais toujours narquois dans sa tendresse.
Matt Elliott dit souvent en interview ne pas être pleinement heureux de son disque Howling Songs , ne retrouvant pas complètement ce qu’il aurait souhaité y trouver. Finalement, quand on écoute The Calm Before , c’est un peu à Howling Songs que l’on remonte. Un Howling Songs chargé de ses explosions de saturation mais débarrassé de scories de maladresse. Car The Calm Before est un disque de faux-semblants. Ce calme avant… la tempête.
Oui, sauf que la tempête est bien là ou qu’elle est déjà passée. On entend encore ou bientôt les déflagrations. Comme si l’être humain était constitué de vent, qu’il en avait le goût. Que la pluie le constituait. Au rythme des vagues qui grossissent et font descendre les corps frigorifiés.
Disque de faux-semblants, The Calm Before est ramassé sur ces six titres qui prennent le temps de poser leur dramaturgie, de faire vivre les courants qui les font bouger.
Six titres à la mélancolie de surface où la colère et la menace se tapissent sourdement, comme une latence. Matt Elliott n’a jamais si bien chanté de sa voix grave et claire. Chez lui, il y a ces bleus au cœur de ceux qui tapissent le fado des rues ensoleillées de Porto. Chez lui, l’Est prend des accents hispaniques ou latins. On croit retrouver le Baden Powell de Solitude On Guitar, la torpeur de Zbigniew Preisner
Le piano cristallin mêlé aux vagues de The Calm Before n’en finiront pas de vous poursuivre et de vous ramener sur les petits chemins qui mènent à une petite crique tranquille.
Posé là sur une petite serviette, un transistor crachote un vieil air de Nino Rota. Pourtant la marée monte, la plage est déserte et le vent n’en finit pas de gonfler.
Disque de faux-semblants à l’image de The Feast Of St-Stephen qui règle quelques comptes avec une religion aux milles illusions de son enfance quand I Only Wanted To Give You Everything de douceur d’apparat cherche sa conclusion dans une frénésie ardente et exutoire.
On aurait aimé aimer mais c’est trop tard, il est bien trop tard. La tempête n’est pas encore là mais elle s’annonce. On pourra bien se moquer de ceux qui voient avant, de ceux qui voient ce que les autres n’osent dire. Tout n’est que chute avant les grands silences, il faut s’y résigner alors avant autant le hurler.
Disque de faux-semblants, The Calm Before est un disque de deuil. Le deuil de nos civilisations appelées à disparaître, le deuil des illusions. Wings & Crowns comme des faux airs de procession, de pietà, de chemin de croix. Un Moyen-Orient mêlé à la martialité d’une électricité occidentale. Des loops comme des répétitions, des répétitions comme des boucles.
The Calm Before serait-il finalement comme une synthèse des deux projets de Matt Elliott ? Faire cohabiter l’électronique de Third Eye Foundation au folk aux frontières ouvertes de l’anglais ? Album de réunion de deux univers. Album d’équilibre.
Ordonner le chaos mais pas pour le vaincre ni le comprendre. Tenter de l’ordonner pour prendre conscience que c’est toujours lui qui l’emporte, qui nous emporte.
Disque de faux-semblants, The Calm Before refuse de donner des réponses. Il refuse de se taire aussi. Peut-être faut-il rejoindre les ombres que l’on voit du fond de cette caverne, de cette Allegory Of The Cave.
Certes, la vie est absurde. Certes, il y a peu de certitudes. Certes, le vent souffle fort, il n’est plus seulement brise. Certes, nous ployons sous son poids mais pour l’instant, nous sommes encore debout…
Greg Bod
Matt Elliott – The Calm Before
Label : Ici D’Ailleurs
Sortie : 4 Mars 2016