Souvent négligé quand on cite les grands noms de notre chanson hexagonale, William Sheller revient avec un grand cru ouvert à toutes les libertés.
Quel est l’infime détail qui différencie le beau du fade ? Le signifiant du trop lisse ? N’y aurait-il finalement pas un rapport à la sincérité ? Un rapport au vrai, à la vérité. Je ne sais plus quel artiste disait cette phrase très juste que plus un artiste s’éloignait de la quotidienneté de ses contemporains, de ses voisins humains, plus sa musique, son art perdait de sa vérité attractive pour autrui.
William Sheller, lui, cette vérité, il ne l’a pas perdu de vue. C’est un peu le monsieur tout le monde de notre musique hexagonale, un homme comme nous mais un homme heureux quand même. On l’imagine aisément derrière son piano dans une petite maison isolée à la campagne, à jouer du Chopin, à s’imprégner du monde qui l’entoure.
Un peu à l’image de ces gens qui vous laissent cette impression de faux dilettantisme, de ces petites choses faîtes avec une facilité presque déconcertante. Ces faux-semblants qui masquent mal un travail de chaque instant, des expérimentations minutieuses qui auront l’élégance de ne pas se montrer ensuite sur un disque.
William Sheller est un peu comme cela, ce monsieur qui nous ballade dans une Pop matinée de Variété dans le sens noble du terme mais aussi allant puiser dans une musique savante.
Pourtant quand on vous cite de grands noms de la chanson française… Attention, je parle de la grande chanson française, fédératrice, exigeante tout en étant populaire… Reviennent très vite les noms des intouchables. Brel, Ferré, Brassens, Barbara. Ce qui cassèrent le patrimoine, Manset, Bashung, Souchon,Christophe. La nouvelle garde, Miossec, Dominique A…
Et puis, il y a ceux que l’on oublie, que l’on néglige. Ceux dont on limite à un Diabolo Menthe ou à Un Homme Heureux.
Pourtant de Moustaki à Yves Simon, de William Sheller à Polnareff, que de points communs avec cette musicalité qui nous parle.
De l’auteur du Métèque qui baladait sa bonhomie à mi-chemin entre les terres de Leonard Cohen et les tropiques fatigués d’un Milton Nascimento.
De Yves Simon qui a sans aucun doute écrit parmi les plus beaux textes que la langue française ait eu en offrande.
Pourquoi cette négligence alors ? La faute à des clichés ? Trop Variétoche ? Pas Assez Rock ? Trop quoi ?
Un de mes amis chanteurs, le brestois Arnaud Le Gouefflec a cette phrase magique :
« La chanson française n’existe pas ». On n’en dit pas de même de la Pop Anglaise, de l’Americana. La chanson française n’existe pas, la faute à l’ouverture de nos frontières, à nos inspirations poreuses, à notre écoute de l’autre.
Sans le swing, y aurait-il eu Charles Trenet ? Sans le Jazz manouche, y aurait-il eu Georges Brassens ?
Alors, où se situe ce qui fait la singularité de notre musique hexagonale ? Peut-être justement, dans cette problématique de l’ouverture, de la curiosité à tous les vents.
Pourquoi cette négligence pour l’œuvre de William Sheller ? Sans doute car il nous met dans ces espaces d’inconfort où situer l’autre, le normer devient difficile. Américain par son père, Sheller n’a jamais su choisir entre les mélodies du vieux continent et celles de l’outre Atlantique. Un pied posé dans la folie cadrée d’un Debussy et les envolées de The Left Banke. Un pas de deux sur les touches noires et blanches de Barbara et un autre de côté vers les évidences Pop de 4 garçons dans le vent.
Chez Sheller, il y a du Jacques Bertin, du Michel Legrand, de vieux airs qui remontent de nos enfances.
Discrètement, tranquillement, Le Carnet à spirales se remplit de cette écriture riche et ample, parfois plus entre les jeux du silence et des épures.
Stylus est de ces grands crus qui vieillissent longuement en bouche. Ici, rien de révolutionnaire dans son travail, juste une orfèvrerie subtile où se mêlent des quatuors, la voix haute perchée de William Sheller, les eaux dormantes qui s’éveillent, les flonsflons des mélodies au lyrisme parfois amusé.
Entre le quotidien bien dessiné des enfants des divorces, la flânerie à ras de l’eau d’une mare, les 10 titres qui constituent Stylus relèvent plus d’une vision kaléidoscopique que de celle de l’expert froid. Classiques sans être académiques, variété sans être variétoche. Jardin des merveilles où l’on se surprend à y chercher un lapin à la grosse montre, une belle journée qu’on ne veut pas voir finir…
Pour les plus prudents, les plus sceptiques, est-il nécessaire de rappeler que la notion d’expérimentation n’a pas forcément besoin de se montrer tapageuse pour exister.
Chez William Sheller, il y a cette liberté d’écriture qui se refuse à des parois trop faciles.
Une liberté de ceux qui nous connaissent bien, de ceux qui ne cherchent pas à prouver, de ceux qui veulent seulement nous accompagner et nous amener ailleurs. Une musique de faux-semblants, de pas grand-chose aux orchestrations subtiles sans être virtuoses, sans être démonstratives.
Un grand écart entre un Jazz façon Walpurgis ou le symbolisme affirmé du piano de Sweet Piece, William Sheller joue avec nos possibles et nos envies de se laisser emporter. C’est beau comme du Debussy, comme du Love, comme du Beatles. C’est beau comme la liberté finalement !
Greg Bod
William Sheller – Stylus
Label : Universal Music / Mercury Records
Sortie : 23 octobre 2015
J’ai beaucoup aimé ce commentaire. Je l’ai trouvé extrêmement bien écrit, intelligent, informé, enthousiaste mais sous-tendu. Il témoigne d’une grande connaissance et d’une belle sensibilité. Bravo, donc. Et pas seulement parce que je vénère Sheller!
Oui un grand bonhomme avec une grande simplicité !!!
En concert c est un bel échange avec la salle …les chansons sont présentées …on en sait un peu plus sur ses préoccupations …il vit en pleine Sologne loin du bling bling artistique parisien …
Nous à Brest nous aurons la chance de le voir en octobre au quartz !!!
Bonjour,
William Sheller est un grand artiste, il a marqué le chanson française à une certaine époque, aujourd’hui la nouvelle génération ne reconnait pas le talent de l’artiste et les radios ne passent que les trucs à la « mode ».
William Sheller fait partie des artistes, qui n’ont pas la notoriété méritée, la lumière des projecteurs se braquent sur eux que pour un courte instant, laissant croire à certains qui ne font plus rien, qu’ils ont arrêté de faire des chansons, de la musique.