Premier album du Parisien, presque Texan, Baptiste Walker Hamon qui après avoir quitté l’enfance entre dans les temps de l’insouciance et livre des chansons aux accents de la Country la plus traditionnelle.
Vieillir ce n’est pas seulement cumuler les souvenirs et regretter sa jeunesse. C’est aussi perdre en consistance, laisser se dégrader notre insouciance. Quand le temps de quitter l’enfance, avec la peur au creux des reins mais la rage au ventre, s’est déjà dégradé. Quand on regarde avec envie l’enthousiasme du voisin, peut-être faut-il alors apprendre à ne plus être de jalousie constitué.
Baptiste Walker Hamon, son temps de quitter l’enfance est encore au centre de ses problématiques, au nœud de ses soucis. Baptiste a l’enthousiasme de ceux qui veulent manger le monde pour en sortir quelque chose de plus beau, de plus fort. On l’avait découvert avec un premier EP en 2014, Quitter l’enfance suivi d’une Ballade d’Alan Seeger, deux disques qui annonçaient la venue d’un nouvel auteur fort d’une proposition singulière.
Chez lui, il y avait cette envie de faire se rencontrer Mouloudji ou Moustaki avec Townes Van Zandt, Steve Earle. Faire coïncider la variété française et une country pur jus, la traditionnelle. Pas celle de Sparklehorse ou de Lambchop. Pas ces Country rendues acceptables à nos oreilles d’Indie Kids. La vraie, la Redneck, celle des campagnes, cette ruralité rustique et frustre. On pouvait craindre le pire et pourtant le mélange prenait. Ce qui contribue de cette adhésion, c’est sans doute la force de ces textes pour la plupart en français. On avait adoré son Peut-être que nous serions heureux en la belle compagnie d’Alma Forrer.
C’était peu de dire que l’on attendait avec impatience cet album. Est-il à la hauteur de nos attentes ?
Pour commencer à donner quelques éléments de réponse, revenons sur l’équipe qui entoure Baptiste Walker Hamon sur ce disque, L’insouciance. Quand il a commencé à réfléchir à comment il voyait le disque, Baptiste, avec le culot que la jeunesse permet, n’imaginait qu’une personne pour l’aider à construire son projet, à le mener à terme. Cette personne, c’était Mark Nevers, producteur de Lambchop, Calexico et d’à peu près tout ce qui compte dans l’Americana que l’on aime.
Imaginez Baptiste en train de faire une liste des artistes avec qui il aimerait travailler : Leonard Cohen, Steve Earle, des rêves absolus, des fantasmes. Parmi ces noms, il y avait un certain Bonnie Prince Billy.
Imaginez l’émotion du jeune homme quand il voit un bonhomme barbu étrange entrer dans le studio et lui dire : « Hi, I’m Will… How do you do? ».
Ce même Will Oldham qui pose sa voix sur le splendide Comme La Vie Est Belle. L’émotion transpire de ce titre, on y sent la joie, la fierté de l’ex Texas In Paris à chanter aux côtés de son aîné et référence ultime. Il y a dans cette valse texane des réminiscences de Calexico mais aussi du Noir Désir des sombres héros de l’amer.
Chez Baptiste Walker Hamon, il n’y a pas de pose dans sa fascination pour l’Amérique. Faulkner, Steinbeck, Whitman l’accompagnent à chaque instant dans son Mississippi qui prend des allures de Seine. Les bateaux mouches qui dérivent au rythme de Gershwin. Chez Baptiste, composer n’est pas une action figée. En effet, les morceaux présents sur les EPS que l’on retrouve sur L’insouciance ne sont finalement plus les mêmes. Ils ont mûri, ils ont grandi.
De la presque annonce des futures défaites du toujours irradiant Peut-être que nous serions heureux au plus Texan que lui tu meurs Ballade d’Alan Seeger, Baptiste Walker Hamon ne cesse de reconstruire sa musique. On y retrouve bien sur sa passion pour la rencontre de sa vie, celle avec Townes Van Zandt dont il ne s’est toujours pas remis.
Qui y a-t-il donc de commun entre ce jeune homme de trente ans et ce folkeux revenu de tout et perdu dans les limbes ? Peut-être cette même modestie, cette même ouverture au monde, cette lucidité sur soi.
Baptiste veut vivre comme un roi dans la basse-cour plutôt que dans des tours comme il le dit dans Tu n’en voulais pas. Il a cette gouaille des poulbots, cette manière bien à lui de poser les choses simplement, humblement. Sur les EPs, le minuscule petit reproche que l’on pouvait faire à sa manière d’appréhender ses textes, à les habiter était peut-être de laisser trop la part belle à l’affirmation.
Ici, tout est plus dans les dégradés, dans les nuances. Et puis, il y a cette reprise des Barbarisms, Stink Of Love ici devenue Les Sycomores. Reprendre un titre d’un autre artiste est un art délicat fait de dosages subtils, finalement pas très éloigné de la conception d’un nouvel arôme, de petites fioles que l’on ouvre et que l’on mêle pour créer une suavité inédite, un parfum joueur. Reprendre, c’est un peu pareil. Ce n’est pas repriser, c’est affirmer les petits défauts de ce qui constitue l’armature, le squelette d’une chanson. C’est s’approprier les mots, les faire autres. Y faire luire autre chose.
Reprendre, ce n’est pas rien. C’est un art difficile qui vous impose de jouer avec les limites de votre ego. Ne pas trop laisser transpirer votre personnalité, votre individualité mais ne pas s’effacer non plus. Jouer avec la transparence et l’opaque. Se laisser décrire par les mots d’un autre. L’insouciance, c’est peut-être cela finalement. Ne pas se laisser aller à la transparence ni à l’opaque, être dans l’entre deux, dans la petite zone d’inconfort, dans cette tour haute des frissons, dans cette pulsion de vie tellement débordante encore pour quelques temps. Cette insouciance qui habite les grands disques, cette consistance nécessaire qui est là dans la musique de Baptiste Walker Hamon.
Greg Bod
Baptiste Walker Hamon – L’insouciance
Label : Manassas/Sony Music
Sortie : le 04 mars