Un photographe qui eut du succès essaie de sortir de la spirale alcool, psychotropes en s’appropriant le talent d’un autre. Un livre drôle, plein de bons mots sur l’éphémérité de la gloire et la superficialité du succès.
L’auteur, un photographe professionnel indépendant, et le héros, l’auteur peut-être, se partagent le même pseudonyme, je ne sais lequel est éponyme de l’autre, mais j’ose espérer que l’auteur n’est pas embarqué dans la même dérive que son héros alcoolisé à outrance, bourré de psychotropes, chancelant comme une vieille star du rock empaillée pour effectuer son éternelle dernière tournée.
En pissant un matin au lever, il constate avec horreur que son urine est rouge, il craint de pisser du sang et d’être affecté d’une grave maladie. Son médecin le rassure, il ne s’agit que de l’élimination du jus des betteraves rouges qu’il a consommées en abondance la veille. Le toubib en profite pour le sermonner vertement et pour lui foutre la trouille en lui disant que s’il ne met pas un terme à ses pratiques suicidaires, son avenir est fortement compromis. Plein de bonnes résolutions, il décide de répondre à la demande du Ministère de la culture qui souhaite lui commander une exposition en l’honneur de l’inventeur de la photographie. En cherchant le sujet qu’il pourrait proposer, il pense à cette photo échappée récemment de son portefeuille qui représente une jolie fille qu’il ne reconnait pas mais comme le nom d’un bar est inscrit au dos du cliché, il s’y rend et découvre les négatifs d’une collection de photos de grande qualité. Il tient son sujet, il va s’approprier les photos de l’amateur resté inconnu qui les a réalisées. Il lui manque juste une fille pour faire quelques photos supplémentaires et ainsi relier l’œuvre de l’inconnu à la sienne.
Il trouve la fille en la personne qui accompagne un de ses potes pour la présentation d’une exposition, elle ressemble vaguement à celle qui figure sur la photo tombée de son portefeuille. Il s’attaque avec énergie à son projet sans toutefois renoncer à l’alcool et aux psychotropes qui ont déjà bien altéré sa mémoire. Sa biographie comporte des trous qu’il ne parvient pas à combler, il a parfois l’impression d’avoir déjà croisé certaines personnes, d’avoir fréquenté certains lieux, d’avoir vécu certaines scènes mais il ne peut pas reconstituer sa vie d’avant, d’avant il ne sait pas quoi mais certainement un choc émotionnel très fort ou problème de santé quelconque mais tout de même assez grave pour le laisser en partie amnésique. Les événements commencent à lui jouer des tours, des choses que lui seul devrait connaître apparaissent sur son écran d’ordinateur, dans la bouche de la fille qu’il a recrutée, ou dans celle du gars qui ne l’a jamais payé pour les petits boulots qu’il a effectués pour son compte mais lui a laissé, en échange, une Chambord bleue. Son projet fondé sur le secret le plus absolu semble compromis, son environnement semble se liguer contre lui. Tous ces événements taraudent sa mémoire en lambeaux et le perturbent fortement. Son projet qui devrait le ramener vers une existence plus saine et une plus grande espérance de vie, se transforme peu à peu en une enquête pour résoudre une énigme de plus en plus obscure que le lecteur suivra avec impatience jusqu’au dénouement sans pouvoir poser le livre.
Chefdeville me fait penser à un Antoine Blondin du XXI° siècle qui aurait longuement macéré dans le jus de la Beat Generation au point de s’imprégner très fortement du cinéma américain des sixties et des seventies, et des chansons de cette époque notamment de celles du Grand Bob (Dylan) qui tournent en boucle dans la Chambord. Chefdeville est un artiste du vocabulaire, du mot, du bon mot, du calembour, de l’aphorisme, de l’allusion, du clin d’œil dont il sème abondamment son texte. Il faut rester toujours vigilant derrière chaque mot il peut y avoir une allusion métaphorique, culturelle, drôle, burlesque, surréaliste ou tout bonnement balourde par dérision. Ce roman c’est peu une satire des Trente Glorieuses qui ne l’étaient pas tant que ça, elles cachaient bien des entourloupes, des escroqueries, des démons mal enterrés après la guerre, des crimes jamais punis et des combines peu glorieuses mais souvent fort juteuses. Une époque où les lumières et les paillettes avaient ébloui bien des yeux. Même si ce texte est bourré de psychotropes et de spiritueux en tout genre, jusqu’à saouler le lecteur, il reste un bouquin hilarant, drôle et très cultivé. Attention sous les bons mots, il y a des mots qui frappent et qui rappellent ce que nous avons peut-être trop vite oublié.
Denis Billamboz
L’amour en super 8
Roman français de Chefdeville
Editeur :Le Dilettante
Couverture : Camille Cazaubon
288 pages – 17,50 €
Date de parution : 9 mars 2016