Avec ce second album, le duo lyonnais Harpe/Guitare prouve une fois encore qu’il n’est pas seulement un concept musical mais bel et bien un univers plein et entier magnifié par la production de John Parish.
Vous rappelez-vous ces mondes imaginaires que l’on croisait dans les albums de Tintin quand nous étions enfants ? La Syldavie, ces langues inventées, ce concept qui finissait par nous paraître plus familier et réel que notre quotidien. Vous souvenez-vous encore de ces rois autoproclamés, de ces empereurs de Patagonie et autres terres au nom exotique ?
Mélanie Virot et Maêl Saletes de L’Etrangleuse sont fait de ce bois-là , de ceux qui se construisent une musique folklorique de territoires inconnus à découvrir. Maêl Saletes, guitariste de son état, déjà aperçu au côté de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp et la Harpiste Mélanie Virot.
Memories To Come, second album du duo, est le cauchemar rêvé de tout chroniqueur musical en quête d’étiquette. Difficile de nommer le travail de L’Etrangleuse sans tomber dans quelque chose de par trop réducteur. Sans doute faut-il commencer par tout de suite tuer dans l’œuf un double cliché. Tout d’abord, les intentions du duo lyonnais ne se limitent pas au seul concept de la rencontre entre deux instruments, la harpe et la guitare. Il faut aussi taire le cliché de la Harpe comme instrument seulement mélodique, vaguement féérique quand il n’est pas carrément couleur locale façon celtique.
Chez L’Etrangleuse, on retrouve bien sûr certaines des tonalités qu’offre l’instrument. Pour autant, vous n’aurez jamais entendu une harpe sonner comme elle se répand sur ce disque. Memories To Come est un album aux frontières poreuses, entre une musique que ne renierait pas Tinariwen par exemple, L’Afrique Noire, les structures du Post Rock ou encore un krautrock métissé.
Les envies sont vagabondes chez L’Etrangleuse et c’est tant mieux. C’est à la fois épuré et fourmillant d’idées, chaque titre de cet album est toujours une construction plus qu’élaborée, jouant souvent sur l’art maîtrisé de la répétition, la compréhension fine de ce qu’est la spatialité d’un son.
Alliant la kora à la façon d’Ablaye Cissoko au nomadisme d’un Robert Wyatt, la musique de L’Etrangleuse refuse de se laisser apprivoiser trop facilement. Parfois complexe et mélancolique, elle peut se métamorphoser dès la mesure qui suit en une confrontation rieuse. A fleur de peau, spontanée et riche, elle évite le désordre par une vraie cohésion de l’ensemble.Il ne faudra pas oublier de citer la présence de l’immense John Parish à la production qui apporte toujours plus de cohérence à ces orchestrations réfléchies et cérébrales.
L’anglais leur apporte ce tout petit supplément d’imperfection qui leur donne une chaleur bienvenue.
Il ne faudrait pas non plus oublier la présence de l’adorable vétéran G.W Sok (Ex The Ex) décidément hyperactif depuis son départ de son groupe d’origine et que l’on rencontre avec à peu près toute la scène aventureuse de par ici. De Filiamotsa à The And ou Cannibales & Vahinés, il balade sa mélancolie étrange de projet en projet, une certaine élégance nonchalante, une forme d’atonalité expressive comme un contrepoint aux chants plus affirmés de ses complices de L’Etrangleuse.
Il a quelque chose d’un vieux prêtre athée qui clamerait sans conviction des vérités sans joie. Il vient mettre encore plus en valeur cette théâtralité, cette dramaturgie de la matière sonore du duo, ce dialogue avec ce troisième instrument qu’est le silence. Quelque part un peu comme si ces 10 titres n’avaient comme code secret à déchiffrer qu’une seule et unique volonté de mettre en valeur le silence pur. Travailler la matière et l’espace, jouer sur les troubles.
La musique de L’Etrangleuse, c’est aussi un peu le son du chant d’un griot apatride qui n’a que faire d’une quelconque déchéance de nationalité car son destin est de suivre son chemin, de se laisser guider par la pulsation monotone de son pas, de faire de sa marche une musique première et universelle, une musique qui ressemble quelque part un peu à celle de Mélanie Virot et Maêl Saletes, à celle de L’Etrangleuse.
Greg Bod
L’Etrangleuse – Memories To Come
Label : La Curieuse, Red Wig Les Disques De Plomb
Sortie : le 10 décembre 2015