Konstantin Gropper de Get Well Soon fait finalement toujours un peu le même album mais il le fait tellement bien qu’on ne peut que l’aimer d’amour.
Konstantin Gropper fait partie de ces musiciens chez qui l’on sait que l’on vient chercher ce que nous sommes sûr d’y trouver. Rien de trop perturbant ni de trop innovant, pourtant à tous les coups, cela déclenche cet enthousiasme, cette immédiate reconnaissance, cette empathie avec ces musiques à la fois larges et intimes qui doivent autant à Ennio Morricone qu’à Nick Cave.
Love est déjà le quatrième album du cousin germain. On entre ici dans une forme de continuité de son précédent album, The Scarlett Beast O’ Seven Heads. Drôle de paradoxe que celui-là car quelque part ce confort à retrouver les mêmes points de repère habituels, c’est précisément ce que nous recherchons chez Get Well Soon.
De l’inaugural It’s A Tender Maze à mi-chemin entre le Spiritualized de Jason Pierce et la voix traînante de Thom Yorke qui aurait oublié ses petits tics crispants au discoïde It’s a catalogue, Get well Soon se plait à nous perdre dans un patchwork steampunk. C’est à la fois cohérent et disparate, lyrique et retenu. Avec Eulogy c’est un peu comme si Morrissey se baladait bras dessus bras dessous avec feu David Bowie du Strangers When We Meet du sublime Outside sur les bords du Rhin.
Le génie de Konstantin Gropper, s’il est question de génie, c’est sans doute ce sens du détail infime, de la retenue toujours au bord de la rupture. S’il n’est pas question de génie, par contre, c’est souvent dans ces particules de l’intime qu’il est le plus rayonnant, le plus pertinent. It’s an airlift est de ces alchimies minuscules que l’on ne s’explique pas, une molécule comme une ces bulles de savon et leurs couleurs changeantes. On les toucherait, elles éclateraient doucement dans nos mains y laissant une petite goutte d’eau. La musique de Get Well Soon est une chose fragile, une menace derrière l’apparence.
Pop, assurément mais Konstantin Gropper brouille les cartes du tendre, ajoutant là des réminiscences de Supertramp ( !), ici le folk boisé de Ron Sexsmith. It’s Love ne ferait pas tâche dans un des albums de l’impeccable canadien injustement boudé.
Sauf que chez Get Well Soon, contrairement à l’auteur de Imaginary Friends, il y a une volonté de divertir, de briller, d’entertainment. L’envie d’envahir l’espace, de créer une scène de spectacle même imaginaire comme Marienbad tout en énergie contagieuse. Toujours chez Get Well Soon, il y a cette urgence mal masquée derrière des airs trompeurs de tranquille assurance. Il y a aussi cette torsion entre l’envie de l’épure et celle de la grandiloquence. On peut faire se côtoyer dans un disque de l’allemand un 33 au minimalisme tendre avec cette tonalité qui n’est pas sans rappeler celle de Matt Berninger et la chaleur de Clogs et la confusion de Young Count Falls For Nurse.
La vraie force de Get Well Soon c’est quand il parvient à unir ces deux natures, quand il maîtrise la schizophrénie de son inspiration. Etre lyrique, dans la tension mais sans orgueil. Créer des hymnes de chambre, faire monter la puissance d’une volonté qui doute. Du I’m Painting Money au It’s A Fog c’est une élégance de la pudeur qui s’affirme. Il y parle de l’amour, le vrai, le seul. Celui que l’on porte à l’autre, celui que l’autre nous porte. Cet infini frisson de la première caresse, cette permanence de son souvenir sur la peau. Ces moments à voler à l’oubli.
Un amour au falsetto affirmé, une variation sur le trouble sentimental, celui qui fait battre plus fort nos petites pompes de vie. Il y a les encyclopédiques des émois comme Stephin Merritt et son insurpassable 69 Love Songs et puis il y a les pointillistes à la manière des Lotus Eaters. Konstantin Gropper, lui, préfère l’aisance de la brièveté, pour ne pas lasser, pour suggérer.
Un peu à l’image de ces corps que l’on désire, que l’on n’a pas encore connu, dont la nudité ne nous a pas encore été offerte. On cherche dans le moindre dévoiler la piste de nos pouls qui s’emballent.
Love, quatrième album de Get Well Soon, nous remet dans ces instants premiers, des ponctuations en suspension de nos vies.
Greg Bod
Get Well Soon – Love
Label : Caroline Records International
Sortie : le 29 janvier 2016