Cette fille-là, elle est terrible, comme dirait l’autre. À 29 ans, la jeune romancière Julia Kerninon termine sa thèse (« Théorie et pratique de l’entretien : The Paris Review, 1954-1974 ») et sort son deuxième roman entre amour et géopolitique.
C’est l’histoire d’un mec, pourrait dire un autre. Celle d’Attila. Mais c’est surtout l’histoire d’un couple. Attila et Théodora. Un couple comme il y en a tant ? Non, pas vraiment. D’abord parce que ces deux-là ont une bonne génération d’écart. 51 ans pour lui, 25 pour elle. Déjà, l’histoire commençait mal… En tout cas, non sans mal ! Ajoutez à cela une histoire et une culture à l’opposé. Attila est Hongrois, Théodora est Autrichienne… Dans tout amour, il y a une histoire de conquête. La conquête du territoire intime de l’autre. Attila s’appropria alors « le corps chaud », « le bruit de ses pas sur le parquet », « les cheveux châtains qu’il aimait tresser », « la peau douce ». Au contact de cette jeune, riche et belle Autrichienne, l’homme décati, un peu amer et broyé par son passé, reprend goût. À la vie, au bonheur, à l’amour.
C’était sans compter sur ce mental qui vous renvoie parfois dans les cordes. Cette petite voix intime qui vous dit que ce bonheur n’est pas pour vous et qui vous dicte de tout saboter. Attila joue au méchant et au blasé, tente d’envoyer tout valser mais « quand elle le laissait la prendre allongée sur le dos, quand elle se remettait à lui comme une gorgée d’eau qu’on porterait dans la paume, il l’aimait, il l’aimait vraiment… » Théodora l’apprivoise alors doucement. Tout doucement. Se laisse parfois malmener pour mieux l’attraper. Puis, un jour, le met face à ses contradictions. Ne serait-ce pas parce qu’elle est Autrichienne que tout ce qu’elle fait lui semble si mal. Bingo ! Théodora représente la suprématie de ce pays tentant de coloniser l’un des citoyens de la Hongrie. Attila et Théodora, plus ou moins consciemment, refont le match. À travers leur histoire intime, c’est toute la douleur du conflit austro-hongrois qui ressurgit. « Mon amour pour elle, c’est comme déserter mon pays, c’est comme coucher avec l’ennemi. »
De bout en bout de son court roman (128 pages), Julia Kerninon tient le fil de cette histoire-là. Pas une banale romance mais une histoire d’amour géographique et politique. Si le sujet pouvait être facilement délicat à traiter, la jeune auteure y parvient avec brio. Le lecteur est happé dans les méandres de ce récit intimiste. Et que dire du style ? Magistral, tout simplement ! Celle qui déclamait du slam dans sa jeunesse à Nantes a gardé de cet exercice-là un goût pour la musicalité. Ses mots sonnent. Ses phrases claquent. Son style swingue. Il faudrait aller jusqu’à lire ce roman à haute voix pour se mettre en bouche toute sa subtilité.
Delphine Blanchard
Le dernier amour d’Attila Kiss
Julia Kerninon
Éditeur : Le Rouergue
128 pages, 13,80 €
Date de parution : janvier 2016
Son premier roman : « Buvard » est disponible chez Babel. Prix Françoise-Sagan 2014.