Martin, le narrateur, a 41 ans. Il est écrivain. Il est fauché. La vie de Martin Page, l’auteur, ressemble à s’y méprendre à son personnage. Une autobiographie déguisée en farce rondement menée.
Si vous pensiez que la vie des écrivains n’était qu’inaugurations de salons du livre au champagne, lancements de livres avec petits fours et vie paisible à écrire et corriger ses épreuves, eh bien, vous vous trompiez ! L’écrivain est un homme comme les autres. Qui doit payer ses factures. Trouver une solution quand la toiture de sa maison laisse passer l’eau. Changer les couches (lavables, de surcroît !) du dernier né. Quand luxe, calme et volupté devient dénuement, fièvre et ascétisme. Vous l’aurez compris, Martin Page n’est pas Frédéric Beigbeder. Dommage pour son compte en banque mais tant mieux pour nous.
Tout commence par une sombre histoire avec une productrice, sûre d’elle et de son pouvoir. Elle veut adapter un roman de Martin. Le chèque est signé. La toiture est donc sauvée. Mais patatras, le projet capote. L’occasion pour notre narrateur de se laisser aller dans des voies inattendues. Et par là-même d’explorer son passé. Car finalement c’est tout l’enjeu du roman de Martin Page. L’auteur – devenu récemment père – en profite ici pour se livrer à une auto-analyse. Fine. Sans concession. Surtout toujours drôle. Il ne s’épargne pas les questions les plus pertinentes et donc gênantes. Et si sa situation d’auteur fauché n’était pas une fatalité ? Et si sa non-adaptation au monde était en fait une volonté farouche ? Et si, finalement, il se complaisait dans sa posture d’écrivain soi-disant maudit ?
Martin Page met en place un procédé littéraire mâtiné de science-fiction, intéressant et subtilement mené, pour se retrouver face à l’enfant qu’il était. Cela donne des scènes à la fois émouvantes et souriantes. L’auteur parvient même à échapper à tout nombrilisme. Souvent à la limite pourtant, il ne tombe jamais du côté obscur de la force ! Il touche même à l’universel : a-t-on tout fait pour accéder à ses rêves d’enfant ? A-t-on trahi ses convictions intimes ? A-t-on cédé aux sirènes du système ? C’est qu’il nous ferait douter ce narrateur histrion qui arrive à insuffler à son lecteur une belle énergie pour se remettre en question. Une énergie du désespoir, peut-être, mais même celle-ci permet d’avancer vers une meilleure acceptation de soi.
Delphine Blanchard
L’Art de revenir à la vie
Martin Page
Éditeur : Le Seuil
176 pages, 16 €
Date de parution : 7 avril 2016