Un album de guitare de Manuel Adnot solo dans cet espace vide, à l’orée de la musique improvisée, du folk et des géographies mouvantes.
Que la frontière entre les genres musicaux est poreuse ! D’ailleurs, n’est-il pas légitime de se questionner sur l’intérêt de la classification par école musicale tant la fusion entre les genres tend à devenir la règle d’un nouveau code en construction ? Ne citons que Chris Hooson de Dakota Suite qui refuse de séparer sa musique de ses aspérités classiques ou du vétéran et regretté Simon Jeffes du Penguin Café Orchestra qui avait compris avant tout le monde toute la pertinence de Philip Glass.
Où se trouve la frontière entre certaines musiques improvisées, les drones ou le Jazz ? Est-il nécessaire de normer nos plaisirs, d’y apposer un cartésianisme bien pensant ? On lui préférera le nomadisme modeste d’un Gaspar Claus qui balade sa poésie de Barlande à l’étrangeté folk de Ramona Cordova. On les aime ces musiciens qui rendent le monde tout petit, qui font de petits points sur des cartes des histoires particulières et singulières. Il en est ainsi de Ueno Park, ce projet solo du guitariste Manuel Adnot, croisé aux côtés de Sidony Box, April Fishes ou encore Aeris.
Un artiste comme Will Guthrie ou Arrington De Dyoniso qui forts de leur maîtrise technique et musicale parviennent à éviter le piège qui exclut l’auditeur du plaisir, celui de la virtuosité. Manuel Adnot a bien compris que la musique ne pouvait pas qu’être un calcul mental mais aussi et avant tout la construction d’images et de sens.
On plonge dans Ueno Park comme on découvre un lieu, un sentier qui monte dans les collines. Ueno Park comme ce parc public de Tokyo avec ses cerisiers en fleurs, cette vie au ralenti, ce regard au bord de la détente.
La grande réussite de ce disque, c’est d’éviter le grand écueil de ce type de disque, autour d’un seul instrument, ici la guitare. C’est la linéarité. Cette désagréable impression d’entendre le même morceau avec d’infimes variantes. Avec Ueno Park , ce n’est pas le cas car il va tout autant puiser dans l’improvisation qui s’égare avec plaisir que dans la musique concrète. On croit parfois entendre la résonance de Violes de gambe du moyen-âge.
Jamais bavarde mais toujours expressive, la guitare de Manuel Adnot occupe les cinq dimensions et tisse au milieu de ses cordes un continent nouveau qui doit autant aux terres celtes qu’à des Islandes rêvées.
On est loin des tentatives expérimentales de John Fahey ou de Glen Branca. Chez Manuel Adnot, le parti pris face à l’expérimentation est d’accompagner son auditeur, de faire appel à son intelligence mais aussi à sa sensibilité. Chez lui, l’expérimentation est un terrain de jeu dans le sens premier et ludique du terme.
La musique est une question de sens, de relation. Une musique est une odeur. Le parfum d’Ueno Park est timide, presqu’imperceptible. Cette petite senteur d’herbe mouillée après les petites pluies fines d’été, une persistance d’un paysage au coin des yeux.
Un tout petit souvenir à l’angle mort
Greg Bod
Manuel Adnot Solo – Ueno Park
Label : Tropare
Sortie le 20 avril 2016
Crédit photo : Michael Parque