Il y a le froid à pierre fendre. Il y a de l’eau lisse comme un hiver perpétuel. Bienvenue à Fortitude. Dans cette série anglaise diffusée actuellement sur canal+ et sur mycanal+, le décor somptueux joue les premiers rôles.
Fortitude est une petite ville minière, située quelque part aux confins de l’Arctique. On ne saura d’ailleurs jamais tout à fait où. Mais on saura qu’il s’agit d’une île gelée, à l’activité économique déclinante où tentent de survivre de multiples ressortissants étrangers. Et à Fortitude l’intrigue commence alors que survient inopinément le décès du biologiste local, apparemment tué dans sa petite maison… Par un ours polaire. Les ours polaires qui ne sont pas à une tentative de meurtre près, puisque peu de temps avant cette apparente invasion de maison, ils ont déjà dévoré un premier citoyen britannique. C’est pourquoi le services de police de sa majesté envoient sur le terrain Eugène Morton (impeccable Stanley Tucci) pour donner un coup de main à la police locale et torpiller la mainmise du Sheriff Dan sur une petite ville où en cowboy polaire, il connaît tout le monde et fait régner l’ordre public.
Une île au bout du monde, une communauté réduite mue par des motifs troubles, un événement fondateur, de méchants ours polaires… OK te dis-tu, il ne te manque plus qu’une fumée noire pour que tu pressentes une transposition arctique de Lost… Et tu sais quoi : tu n’as pas tout à fait tort. Je te garde un peu de suspense, mais disons que le spectateur craint « une malédiction » et que les auteurs laissent traîner cette ficelle au fil de nombreux épisodes, puis en donnent une partie des clés sur les deux épisodes de fin qui bien sûr n’expliquent pas TOUT.
Le huis-clos a déjà trouvé un bon représentant l’an dernier, avec Wayward Pines, c’est encore le principe d’une communauté repliée sur elle-même qui donne l’unité de lieu de cette série sortie à la mi 2015 et rediffusée ces derniers temps sur Canal. La mort d’un scientifique sert de climax narratif au développement. Il y a quelques trouvailles sympa : la photo par exemple est somptueuse. Le tournage (apparemment en Islande) amène de superbes images de paysages ou de courses poursuites en skidoo ou en zodiac sur la mer lisse d’une qualité visuelle rarement repérée dans une série. Ce décor est aussi un prétexte à ramener dans l’intrigue les conséquences du réchauffement climatique. Le sol de Fortitude dégèle. C’est à cause de ce dégel que les ours se rapprochent des hommes ou que la nature libère des vestiges du passé. Le sol de Fortitude ne rapporte plus assez. C’est pour sauver l’existence même de la communauté locale que la gouverneure (Sophie Grabol) tente de monter un projet d’hôtel de glace qui ramènera, elle en est sûre, des touristes sur l’île dont personne sur le continent, n’a plus grand chose à fiche.
On trouve aussi dans cette série les éléments classiques des séries de huis-clos : les gros durs, les méchants baraqués, les personnages tiraillés entre leur gentillesse et l’obligation de sortir des sentiers battus, les scientifiques tiraillés par leurs découvertes, les philosophes de comptoir, les personnages pétris de folie, ceux au passé trouble qu’ils essaient de masquer ou ceux qui endossent le rôle de chamane. Et puis le personnage central. Le shérif. Comme dans The Walking dead, comme dans un ranch cerné de peaux-rouges ; il n’est pas dénué d’une part d’ombre et comme dans The Walking dead, ou OK Corral c’est à lui que revient le rôle de garder cette petite communauté soudée malgré la mort, malgré la peur.
Je sais que tu sens que mon impression est mitigée sur cette série. C’est un fait. Je sors de cette saison un avec un léger « ouais bowaaa ouais mais bon » que je réserve aux séries qui ne me laissent pas un long et impérissable souvenir. Oui il y a le décor, oui il y a le jeu d’acteur et l’efficacité de conteur de l’équipe aux manettes, qui font que jamais on ne s’ennuie au long des douze épisodes de cette première saison. Mieux encore, l’ensemble est construit de manière suffisamment addictive pour qu’on aie assez de questions et d’attentes pour enquiller le prochain épisode. Franchement, tout ça passe bien.
Mais à mélanger des ficelles déjà vues ailleurs : le meurtre, les éléments naturels contraires, la malédiction, la maladie etc. On se dit souvent qu’on a déjà éventé mille fois le concept même de cette série, où finalement on n’est jamais tout à fait chamboulé par aucune des nouvelles révélations distillées au long des douze épisodes. Alors on s’accroche aux rebondissements bien torchés de la série et au talent des acteurs : simple et diablement efficace, puis à la beauté des décors et de la photographie générale de la série. Pas sûr que j’arriverai à garder cet intérêt au-delà de la saison deux, déjà annoncée, si l’arrivée de Dennis Quaid notamment au casting n’en enrichit pas le scénario dans des voies un peu moins balisées.
voire
Denis Verloes