A Tokyo, un homme divorcé et sa voisine tombent sous le charme d’une maison de leur quartier. Une réflexion sur les liens qui s’instaurent entre une maison et ses occupants.
« C’est une maison bleue/Accrochée à ma mémoire /On y vient à pied /On ne frappe pas… » mais cette maison bleue n’est pas adossée à une colline de San Francisco, elle est plantée dans un quartier bourgeois de Tokyo et elle fascine Nishi qui pourrait chanter la chanson de Maxime Le Forestier tant cette maison l’attire. Nishi c’est la voisine du narrateur, Tarô, ils habitent tous les deux dans un immeuble promis à la démolition qui se vide progressivement de ses locataires. La jeune femme a en sa possession un livre intitulé « Journal de printemps » qui contient de nombreuses photos de cette superbe demeure qui a été occupée par un couple qui ressemblait étrangement à Nishi et à Tarô, notamment une identité à peu près similaire. Tout un faisceau de coïncidences intriguent fort les deux voisins qui scrutent les photos de la maison pour essayer de deviner si son intérieur correspond toujours à ce qu’ils peuvent en apercevoir, jusqu’au jour où la jeune femme est invitée à entrer dans cette fameuse maison où elle fait la connaissance des nouveaux propriétaires et de leur demeure. C’est le début d’une histoire étrange qui se noue entre la maison actuelle, ses occupants actuels et les deux jeunes voisins, Nishi et Tarô, qui pourraient incarner les occupants d’un autre temps, celui où les photos ont été faites.
Cette histoire à la limite du fantastique m’a fait penser à certains films japonais comme j’en ai encore vu un récemment, des films au rythme lent, parfois très lent, à la mise en scène très léchée dans des décors dépouillés mettant bien en valeur le scénario, des films avec des dialogues réduits au minimum, des films qui racontent des histoires simples et pourtant souvent étranges qui déstabilisent celui qui les regarde. Le roman de Shibasaki Tomoka est construit un peu dans ce même esprit, le texte est épuré, l’histoire est réduite à l’essentiel mais très étrange, les personnages et les lieux paraissent éphémères, irréels alors que le décor constitué par la maison bleue est très finement décrit. Il plane sur ce texte, comme sur certains films que j’évoque, une sorte de mystère que le dénouement n’éclaircit pas forcément. L’auteur crée une atmosphère plutôt qu’une histoire en usant du processus littéraire de la mise en abyme.
Dans ce roman les personnages sont presque tous seuls : divorcé, veuf, célibataire, … ils ont besoin d’une compagnie qu’ils ne trouvent pas facilement. Le fonctionnement de la société japonaise ne facilite pas la vie familiale, les mariages sont encore souvent arrangés à la mode traditionnelle et les couples ainsi conçus ne correspondent pas aux nouvelles exigences de la société contemporaine, le travail est devenu une vertu cardinale qui empiète très fort sur la vie privée. Dans cette société vouée au travail et à la performance, la vie familiale devient de plus en plus difficile, il est même parfois compliqué d’avoir des amis. Alors, prisonniers de leur solitude, les Japonais tissent des liens forts avec leur habitation à laquelle ils s’identifient de plus en plus ou qu’ils aménagent à leur image. C’est aussi ce message que nous laisse Shibasaki dans ce roman délicat qui comblera tous ceux qui apprécient la culture asiatique et même beaucoup d’autres.
Denis Billamboz
Jardin de printemps
Roman japonais de Tomoka Shibasaki
Titre original : Haru no niwa
Tradiuit par Patrick Honnoré
Éditions Philippe Picquier
144 pages – 16.50€
Parution : 31 mars 2016