Le retour de Bibio et de son art pop-folk-groove, c’est simplement le droit à la légèreté et l’insouciance retrouvées. A Mineral Love ou la célébration du groove vintage, du folk musardant et des bal(l)ades au grand air. La vie à nouveau permise, enfin.
Sortir finalement des frimas de l’hiver et des jours de pluie moroses. Fuir le fracas du monde et son éternelle violence, tenter malgré tout de se guérir de la mort d’artistes aimés, en premier lieu ce cher mince duc blanc brutalement transformé en étoile noire un cruel jour de janvier, dont on a eu – dont on a encore, dont on aura toujours – tant de mal à se remettre. Tourner son regard vers le ciel et le découvrir chaque jour plus bleu. Se surprendre à espérer à nouveau des matins de brise caressante, des après-midi de musarde au soleil et des avant-soirées au parfum de muscat et de rires amis.
Ce programme qui ressemble fort à un retour à la vie, le retour printanier de Bibio avec son nouvel album chez Warp Records sous le bras s’en fait le parfait révélateur. Fidèle à sa saison de cœur, notre anglais touche–à–tout favori Stephen Wilkinson revient donc avec A Mineral Love fleurir nos oreilles de ses compositions de poche, ses arpèges de guitare, ses beats débonnaires, ses samples soul et son électronica joueuse.
Et disons-le tout de go, dès les premières notes de l’introductif Petals, le charme de l’art du musicien britannique pourtant familier depuis plus de dix ans agit comme au premier jour. Gouttes de rosée de sa guitare tremblée, volute électro se déployant en corolle, mélodie élégiaque à la délicatesse de dentellière : une porte d’entrée parfaite pour l’univers impressionniste lumineux du tisseur pop-folk et groovy.
Fidèle à son amour des beats électro autant qu’à celui d’un folk bucolique instrumental, avec A Mineral Love, l’auteur de Ambivalence Avenue et Silver Wilkinson semble à première vue ne pas changer les fondamentaux qui président à son parcours de bipolaire boulimique.
Ce septième album alterne toujours aquarelles folk lo-fi (les miniatures Wren Tails, Saint Thomas) et bombinettes électro ludiques (Town & Country, C’Est La Vie). Mais si le paysage est familier, A Mineral Love a cependant la volonté d’afficher plus ouvertement son goût des rythmes soul et du groove vintage.
Quittant ici la mélancolie méditative introspective de Silver Wilkinson – à l’exception de l’atmosphérique The Way You Talk avec le belge Gotye au chant – l’artisan sonore Bibio délaisse l’électronica expérimentale, invente ses propres samples, tisse ses propres boucles et s’adonne au simple goût du groove, plongeant dans ses souvenirs personnels des sonorités des années 70 et nineties.
Funk-pop joyeux et rond comme une agate (Feeling, Town & Country) ressuscitant avec une joie enfantine le groove soul façon Blackpoitation, la pop californienne à la Steely Dan, Michael Franks (A Mineral Love) voire le funk, style Earth Wind & Fire ou blanc à la Chaz Jankel (Ai No Corrida, vous vous souvenez ?), la matière sonore à l’ancienne où claviers sautillants, basse funk tricotante, guitares fuzz et cuivres scintillants se taillent la part du lion.
Plaisir de feel good music sans aucun calcul, moins profond certes que Silver Wilkinson mais ouvertement baigné de positivisme et de good vibrations, cet album distille un charme catchy solaire de fait difficilement résistible, très proche des productions groove d’AM & Shawn Lee ou Unknown Mortal Orchestra. Il pourrait même pour l’anglais susciter quelques passages radio plus grand public (parfaits Feeling ou un Light Up The Sky semblant vouloir défier les Daft Punk de Get Lucky).
Toujours séduit par les dons du bonhomme (ah, ce son de guitare grêle inimitable !), on se permettra d’avancer tout de même une ou deux réserves au tableau : le penchant house music du milieu du disque (With The Thought Of Us / Why So Serious?) très nightclubbing daté 90’s jurant quelque peu avec le reste, et sa relative tendance à trop gommer les aspérités sonores de sa musique qui pourrait s’avérer contre-productive avec le temps. La ligne claire, d’accord, ami Bibio mais gaffe à une éventuelle ligne trop fade…
Une fois ces préventions émises, on s’admet tout de même avec bonheur sous le charme du talent solaire de l’anglais et régénéré par la luminosité que ce disque bienveillant dégage. En prenant l’emblématique C’Est La Vie comme un précepte : déambuler sereinement, le cœur sans illusion mais sans amertume et croire, malgré tous les coups du sort, à ce que l’existence peut encore nous réserver de mieux.
Franck Rousselot
Bibio – A Mineral Love
Label : Warp Records
Sorti le 1er avril