Le trio The Magnetic North quitte l’Ecosse et revient avec un deuxième album inspiré par la ville nouvelle de Skelmersdale dans le Nord de d’Angleterre.
Skelmersdale, c’est une petite ville de moins de 40 000 habitants dans le Nord-Ouest de l’Angleterre. Une petite ville commune comme on en traverse tant sans vraiment lever la tête de son volant. Une impression fugitive qui ne marque pas vraiment l’esprit et on est déjà loin. Qu’ont bien pu y trouver The Magnetic North pour en faire la thématique de leur second disque après Orkney : Symphony Of The Magnetic North qui pour nombre d’entre nous fut l’album de l’année 2012 ?
Car ce qui se dégage de la pourtant maigre discographie du trio mené par Erland Cooper de Erland & The Carnival, Simon Tong et Hannah Peel c’est de faire se confronter le concept et l’humain. On se souviendra de cette idée de vouloir adapter les mots de John Charles Gunn pour raconter l’histoire de Betty Corrigall, une jeune femme du XVIIIème siècle qui s’était suicidée après avoir été bannie de son village pour s’être déshonorée en tombant enceinte d’un marin encore inconnu la veille.
On se souviendra aussi de la volonté du groupe à enregistrer le disque sur les territoires de l’histoire, à faire participer les habitants de l’île à cette narration. L’album osait la dimension symphonique mais toujours à hauteur de regard, à la dimension d’un homme. Car on retrouve toujours au centre du travail de ces trois-là l’humain et le rapport à l’autre.
Avec Prospect of Skelmersdale, c’est à une nouvelle étude ethnologique Pop que The Magnetic North nous invite. Bien différente de celle que nous proposait leur premier album, entre effluves de mer et embruns. La proposition nous venait alors d’Erland Cooper, lui-même originaire des Orcades, cet archipel d’Ecosse.
Simon Tong, lui, est originaire précisément de Sklemersdale, cette petite ville nouvelle construite pour venir vider un peu Liverpool de son trop plein d’habitants. Cette toute petite ville qui connut mille et une vies et en particulier de cette communauté d’hippies adeptes de la méditation transcendentale qui fit de la ville leur lieu de ralliement. Cette même communauté dont les parents de Simon Tong faisaient partie.
En observant ces deux propositions du groupe, on n’est pas loin de penser que l’inspiration chez eux passe forcément par l’étroitesse d’un voisinage, ce qui permet sans doute de mieux comprendre l’extrême générosité et la chaleur que l’on entend dans ces titres.
Une étude ethnologique en effet tant on semble découvrir la dimension temporelle, les habitudes et les aspirations des gens qui habitent Prospect Of Skelmerdale. Ce ne sont pas les petits interludes, ces lectures de vieux journaux qui viendront estomper ce ressenti d’être plongé dans un documentaire passionnant sur la vie d’une communauté.
Mais tout le talent de The Magnetic North est de prendre le pari de la contemplation, de la distanciation. Un peu comme de regarder ces vieux super 8 sur ces petits écrans des rembobineurs. De s’arrêter sur tel ou tel détail, de prendre le temps d’en extraire le caractère, son actualité dans notre passé.
La musique de The Magnetic North est une musique qui s’inscrit dans la géographie qu’elle occupe. De la luxuriance des cordes du premier album qui rythmaient avec tellement de justesse la monotonie des vagues contre le port endormi ou ici la richesse harmonique qui nous projette immédiatement dans l’éveil d’une ville au petit matin.
Une musique à l’identité immédiatement identifiable. Celle de ses auteurs, une musique qui résume ce que nous aimons chez les Anglais, ce qu’est l’Angleterre en nous. Cette identité qui se ballade de Elgar à Ralph Vaughan Williams, de Bill Ryder-Jones à James Blake. Une tonalité à la fois brumeuse, claire et grave. On y croise tout autant Ken Loach que Lord Byron.
Univers de pari pour son envie de confrontation. D’un très pur Jai Guru Dev en ouverture ou la voix d’Hannah Peel et Erland Cooper vous donneront le frisson ou alors il est conseillé d’aller vérifier la pile de votre stimulateur cardiaque à un chaleureux Pennylands qui ne dépareillerait pas sur un album d’I’m From Barcelona avec ses accents de fanfare joyeuse et impétueuse.
On ne dira jamais assez tout le bien que l’on pense de l’inventivité des arrangements qui constituent ce disque, cette élégance à ne pas trop dire les choses, à ne pas trop suggérer, à rester dans la juste tenue comme sur A Death In The Woods tout en tension rassurante avec ces effluves électro qui jouent avec nos sens.
C’est souvent ample et grand, comme une vue lointaine d’une ville. A l’extrême limite de la grandiloquence et du trop, à l’image de Sandy Lane ou de Signs.
Quitte à paraître sexiste, peut-être est-il nécessaire de dire qu’Hannah Peel fait bien plus que seul usage de décorum ou de contrepoint à la virilité de ses deux comparses. Un peu comme sa voisine d’inspiration Rachel Zeffira qui avec ou sans Cat’s Eyes fait des merveilles de douceur de sa vois ample, la composante féminine de The Magnetic North apporte tant à l’univers qui constitue ce disque.
Little Jerusalem ou encore Cergy-Pontoise sont de biens belles preuves de la présence indispensable de la belle anglaise à Prospect Of Skelmersdale. Il sera impossible de résister à l’hypnotique puissance de ces titres. Etrangement, c’est au Jetlag Dreams, pourtant disque crépusculaire et exclusivement instrumental de Departure Lounge que l’on pensera parfois. Sans doute, retrouvons-nous dans ce second disque d’Erland Cooper et de ses deux acolytes cette mélancolie qui ne choisit pas son camp entre vivre dans le passé et ouvrir les fenêtres au vent du présent avec cette naïveté qui pourrait paraître frelatée chez d’autres, de celle que susurrait Jason Lytle en d’autres temps dans The Final Push To The Sum. Etre à la fois radieux et opaque.
Prospect Of Skelmersdale est clairsemé d’anecdotes, pourtant il est loin d’être un disque anecdotique. Par sa reconstruction d’une communauté d’hommes, c’est presque une œuvre archéologique. On imagine aisément les trois anglais en train d’épousseter minutieusement un petit vestige, de lui enlever petit à petit la patine du temps, cette fine de poussière de ce qui est inéluctable, cette affreuse traversée du temps. Ressusciter ces gens-là disparus pour apprendre à mieux leur dire au revoir. Ne jamais s’abimer dans la noirceur sans retour pour mieux traverser bientôt d’autres tempêtes mais aussi bien d’autres paysages inédits, de ceux qui font les nouvelles œuvres et constituent des cycles sans fin
Greg Bod
The Magnetic North – Prospect Of Skelmersdale
Label : Full Time Hobby
Sortie le 18 mars 2016