La bouteille comme amante, Alcoolique est l’histoire d’une déchéance et d’un enivrement quotidien livré cru, avec sincérité et poésie !
L’écrivain et l’alcool… Une longue histoire d’amour ! Mais la bouteille est une mélancolique amante, à la fois déesse inspiratrice et harpie de solitude et de désenchantement. Une lente déchéance que Jonathan Ames et Dean Haspiel nous racontent dans Alcoolique.
Adolescent, Jonathan A. a succombé aux charmes de la chopine qui lui est, depuis, restée fidèle. Une bien triste compagne ! Si cette romance le désinhibe et lui offre une meilleure estime de lui, elle se termine toujours par des gueules de bois et des matins abhorrés ! Le voilà définitivement pris au piège de cette dépendance dont il ne supporte pas les effets.
Le récit débute à la suite d’une de ses dernières débauches éthyliques. Jonathan émerge dans une voiture en compagnie d’une petite vieille, dont les attentes charnelles sont pour le moins explicites, et d’un mal de crâne pas plus séduisant. Cette scène nocturne est d’autant plus insolite qu’il n’a aucun souvenir de la manière dont il s’est retrouvé là. Il ne patientera pas pour en avoir la réponse et, lorsque la police frappera aux carreaux du véhicule, fuira les lieux sans se retourner. Enterré dans le sable, à l’abri d’un ponton, le temps que les choses se tassent, il tentera de recoller le puzzle en replaçant une à une les pièces manquantes. Ainsi commence sa mésaventure, celle d’un enivrement quotidien par besoin, mais aussi dans le but de s’éclipser de sa propre existence.
Ses pérégrinations éthyliques l’ont mené sur une pente qu’il est plus facile de descendre que de remonter. L’ivresse du week-end, en compagnie de Sal, son ami d’enfance, est devenue un rituel plus fréquent qui le traîne vers des errements crépusculaires. L’accoutumance est bel et bien là et les cures de désintoxication ne peuvent rien y changer. Sans se plaindre de son sort, se contentant de constater sa progressive dégénérescence, il enchaîne, impuissant, les étapes de la vie une par une : des relations amicales et amoureuses complexes, des tragédies familiales, des black-out… L’alcool soigne ses traumatismes enfouis, tout en lui laissant de nouveaux stigmates !
Malgré le côté dramatique du sujet, les auteurs nous proposent un délectable moment de lecture. Intelligemment bien écrit, on ne sombre pas dans l’apitoiement ou la tristesse. Le protagoniste principal, au rythme de son auto-analyse, nous livre un bilan réaliste de son existence sans chercher à l’enjoliver. Il ne se cache jamais derrière des excuses et nous conte les faits avec un regard d’une grande lucidité. Une confession tendre, intime, drôle et parfois pathétique, qui se termine sans aucune morale, sinon celle qu’il n’y aura aucune échappatoire !
Côté dessin, Dean Haspiel nous offre un magnifique roman graphique, en noir et blanc, d’une paradoxale sobriété pour un ouvrage errant pourtant dans les méandres de l’addiction. Le travail des décors et de la mise en scène place le lecteur dans une position de spectateur observant les différentes étapes de cette chute vertigineuse. Aussi rythmé que l’intrigue, le trait assuré du dessinateur retranscrit à merveille les difficiles lendemains de cuite de Jonathan.
Quant à la mise en page, les éditions Monsieur Toussaint Louverture ont réalisé un très beau livre avec une couverture mi-carton embossé, mi-toile imprimée. Un dédoublement rappelant, encore une fois, la double vie de l’antihéros de cette histoire.
À consommer avec immodération !
Simon BAERT
Alcoolique
Scénario : Jonathan Ames
Dessin : Dean Haspiel
Éditeur : Monsieur Toussaint Louverture
144 pages – 22 €
Date de sortie : 1er décembre 2015