Il y a une poignée de groupes comme ça en France, dont on ne comprend pas qu’ils n’aient pas plus la reconnaissance de madame Michu (pour ne pas dire de reconnaissance en terme vente d’albums). La Maison Tellier est de ces groupes là, lui qui s’épanouit depuis une grosse poignée d’albums en dehors du circuit de la heavy rotation FM/télé.
Avec Avalanche le groupe creuse une fois encore le sillon amorcé depuis le troisième album: troquer sa folk chantée en anglais pour une totale allégeance à la langue de Molière. Par ce simple changement de langue, le groupe est passé depuis maintenant trois albums d’un énième groupe anglophile, coureur de grands espaces américains à sa qualité de seul représentant, ou presque, du mythe du cow boy incarné à la française. Et dans ce domaine fait de chemises de trappeurs, de banjos, de mines d’or, de souffle de cuivres tendances mariachis, la Maison Tellier règne sans partage. A la Maison Tellier la musique des grands espaces… de Normandie dont ils sont originaires, et d’ailleurs en France dont ils se réclament.
Avalanche me semble plus musclé que Beauté pour tous, disque de l’époque à laquelle j’avais rencontré les frangins en marge du festival Ta Parole à Montreuil. Mais peut-être est-ce ma mémoire qui me joue des tours, parce que j’ai souvenir d’avoir pensé la même chose ou presque lors du précédent album. J’ai l’impression, pourtant, que la guitare acoustique se glisse un peu plus en retrait dans le mix, au profit des riffs électriques ou du clavier. L’impression aussi que l’ensemble est un peu plus musclé, ou en tous cas plus lancé, plus échevelé.
Il y a du Calexico, du H-Burns ou du Howie Gelb dans la démarche de La Maison Tellier. Cette manière d’envoyer la France jouer en Amérique, cette façon de laisser la trompette porter la ligne mélodique et s’envoler au moment du refrain. Il y a quelque chose des films de John Ford dans cette chevauchée fantastique, portée par le roulement de la batterie, ainsi que dans cette pochette ou le vacher attend son heure ultime, le corps enterré dans le sable de la plaine par un Indien de passage. Et puis ces barbus ont aussi une composante du rock slacker de ma jeunesse dans les nineties. Je me demande si ce n’est pas à cause de cette barbe drue, de ces chemises à carreaux portées négligemment, ou simplement de l’attitude nonchalante du groupe, qui balance parfois de petits brûlots sans avoir l’air d’y toucher.
Et si l’influence américaine est une évidence musicale, du côté des paroles, les Normands évoquent aussi quelques gloires nationales. On pense au Murat de Mustango en moins abscons, ou au réalisme thématique Dominique A; puis pour ce qui est de l’atmosphère réussissant le syncrétisme entre paroles intimes et revendication parfois sociale, on serait chié de ne pas évoquer Noir Désir qui fut en son temps un modèle du genre. La Maison Tellier aime raconter des histoires. Avalanche est fait de personnages contés. Il y a les fils du vent qui viennent et partent, les amoureux pétrifiés, blasés, les Amazones ou les trépassés cyniques portés dans leur caisse de bois au moment du dernier voyage. Chaque chanson est une scénette, un univers signifiant, un court métrage comme le groupe les aime (V. interview en fin d’article). La critique sociale pointe souvent, mais ici peut-être plus diffuse et moins spécifiquement engagée que par le passé. La plume conte des histoires écrites au vinaigre, et cette saveur souvent ajoute un peu de peps au fil de l’album. Haut Bas Fragile est à ce titre un beau résumé de la force narrative de l’album entre forme folk, évocation western et histoire cynique.
L’album enfile les perles mélodiques à un rythme soutenu. Parfois on aimerait presque laisser reposer un peu ce recueil de nouvelles musicales (oui en fait, je sais qu’il me suffirait de pousser le bouton pause, mais bon) pour laisser le temps d’infuser, d’emmagasiner. Tout ceci est encore une fois de très bonne facture. J’ai envie de conclure en disant qu’il s’agit d’un disque très largement burné, mais la perche m’est tendue avec un peu trop d’évidence par le groupe lui même, qui se demande avec son air de barbus narquois Où sont passés les hommes? Je ne sais pas d’ailleurs, moi aussi je me demande.
Encore une belle réussite pour La Maison Tellier.
Denis Verloes
La Maison Tellier – Avalanche
Athome/Wagram
Sortie: Janvier 2016