Sophia fait son grand retour après sept ans d’absence avec un grand album qui se veut comme une synthèse du travail de Robin Propper-Sheppard mais qui tente aussi de nouvelles pistes.
Sophia et son leader Robin Propper-Sheppard, c’est un peu le bon copain aux idées toujours noires. On est la bonne épaule sur laquelle il vient se reposer, poser son fardeau. On est l’oreille attentive puis lentement s’installe une petite lassitude sournoise, une insinuation tout au plus. On se rend compte qu’on l’écoute moins, que l’envie s’efface un peu, que l’empathie n’est plus vraiment là. Alors, quand il nous appelle, on est un peu plus rapide, un peu brusque… Puis on ne répond plus. Les années viennent remplacer les semaines, on se voit moins souvent, on le voit moins souvent. La ville devient si grande.
Un jour, on se rend compte que cela fait des années que l’on ne lui a pas parlé… On se regarde dans sa glace, on se sent un peu mal puis on oublie. Parfois, dans ces moments-là au bord de l’oubli, on prend conscience combien l’autre nous manque.
Avec Sophia et Robin Propper-Sheppard, c’est exactement la même chose. Robin, c’était l’ami intime qui nous rassurait sur nous car il était bien plus sombre que nous. Lui qui ne s’est jamais remis de la mort de son ami bassiste dans son premier groupe God Machine, Jimmy Fernandez. Un chanteur qui exaltait sa douleur et son combat avec ses peurs de sa voix à la fois sépulcrale et chaude.
Fixed Water quitta peu nos oreilles, sans doute dans un monde idéal pourrait-il remplacer mille doses d’antidépresseurs. Comment peut-on réagir quand on est allé au bout du bout du soi ? Sans doute , comme Robin Propper-Sheppard le fait, la seule action qui reste est de résister contre tout et contre rien.
The Infinite Circle ne fit que nous confirmer dans la certitude qu’avec Sophia, nous avions un compagnon d’infortune, de ceux qui tutoient les plaisirs inconnus, les frontières poreuses du chagrin et de la frénésie.
Il construisait une Pop sensible, un Folk à l’os emmenée par cette voix toujours à la rupture, cette musique des cœurs blessés, des grands gars aux bras ballants. Il chantait un crooner malade à l’instar de Stuart Staples.
Dans ces années-là, à la toute fin des années 90 et au début du nouveau millénaire, le désespoir pouvait prendre les teintes crasseuses et poisseuses d’Aidan Moffat et Malcom Middleton dans Arab Strap, celles plus cotonneuses de Kurt Wagner ou les plus torturées de Mark Linkous. Robin Propper-Sheppard, lui était dans la ligne claire de l’accablement.
De Nachten, sublime Live, aurait dû lui ramener un plus large public. Comme les autres disques, c’était un immense travail de finesse Pop, d’arrangements tellement simples qu’ils en devenaient juste beaux.
Avec People Are Like Seasons, on sentait bien chez le leader du groupe une envie manifeste de renouvellement en passant un peu par la case départ ou retour aux sources, à l’électricité de The God Machine. L’écorché vif semblait tenter d’apprivoiser sa neurasthénie en y joignant une rage nécessaire. C’était beau mais notre attention se faisait plus évasive, on se sentait moins concernés, moins absorbés.
Technology Won’t Save Us poursuivit cette petite persistance de lassitude. Bien sûr, comme sur tous les disques de Robin Propper-Sheppard, il y avait des pépites cachées au milieu d’autres titres qui ronronnaient un peu ou sentaient un peu la facilité d’une recette éprouvée. Pour autant, jamais on n’a douté de la sincérité des propos de l’américain. Toujours on a su qu’il reviendrait avec un grand disque qui jetterait d’un revers de main tous les malentendus, toutes les déceptions.
Mais car il y a toujours un mais. Mais il fallait d’abord passer par l’expérience de l’absence, de la frustration.
Sept ans que Sophia n’avait pas sorti de nouvel album depuis un honorable There are no Goodbyes, une suite de chansons malades, parfois maladroites mais toujours attachantes. Sept ans de gestation, de distance, d’éloignement pour parvenir à ce As We Make Our way (Unknown Harbours). On a bien fait d’attendre tant ce nouveau disque semble être à la fois la synthèse de tout ce que Robin Propper-Sheppard nous a proposé jusqu’à présent mais aussi l’ouverture de pistes inédites.
Lui qui nous dit au creux de ces chansons qu’il faut désormais savoir laisser le passé dans le passé, on se surprend à lui trouver des postures conquérantes et offensives.
D’une ouverture en piano doux et lent à un Resisting vindicatif qui rallume les penchants Noisy de God Machine, Sophia ne veut plus seulement se complaire dans la seule désespérance avant de basculer dans une atmosphère contemplative et combative avec The Drifter, une lente dérive aquatique, qui semble mener encore plus loin la barque de The Ship In The Sand. On pourrait presque se croire un peu du côté des Cure de Tonton Robert période Wish s’il n’y avait pas la maturité de l’américain, cette acceptation sans résignation, ces monstres qui ne se cachent plus.
Plus notre écoute de As We Make Our way (Unknown Harbours) avance, plus nous prenons conscience que cette impression tenace de nouveauté dans ces chansons provient sans aucun doute de cet apaisement doucereux comme ce Don’t Ask comme une réponse aux questions qu’on ne veut pas entendre, aux mots que l’on ne veut plus prononcer. Ces paroles qui ne sont plus tout à fait des bulles, pas encore des larmes mais sûrement pas un sourire.
Bien entendu, on ne rit pas encore à gorge déployée mais on commence à y deviner quelque chose que l’on pourrait presque qualifier de radieux comme ce Blame à la rythmique martiale et enlevée ou ce California solaire. On se rappelle alors les Lightning Seeds de Ian Broudie ou la mélancolie contagieuse de Matt Johnson avec The The et son Slow Emotion Replay.
Ces grandes chansons comme des albums photos des drames communs que seuls peuvent écrire ceux qui sont revenus de tout.
Nouvelle piste également avec St Tropez qui s’égare un peu dans une mixture étrange où se côtoient une ritournelle Pop acoquinée à des petits effluves psychédéliques. Un peu comme la rencontre de Beck période One Foot In The Grave avec les Black Angels. C’est surprenant mais pas forcément ce qui s’incruste le plus durablement dans nos oreilles.
Par contre, il n’en va pas de même avec You Say It’s Allright qui commence dans un spectre electro pour monter rapidement en tension, en crescendo. On retrouve la puissance de God Machine mêlée à une urgence, celle de vivre peut-être.
Avec Baby Hold On, on retrouve le Sophia de Fixed Water avec cette petite usure dans la voix.
Sur tous les disques de Sophia, il y a toujours au moins un joyau, un filon à drainer.
Sur As We Make Our way (Unknown Harbours), c’est une mine inépuisable à explorer comme ce It’s Easy To Be Lonely qui ressemble à s’y méprendre à un hymne de consolation pour tous ceux qui sont un jour traversés par le chagrin, la perte ou l’angoisse.
Car oui, c’est parfois plus facile d’être seul, d’être triste. Comme le dit mieux que nous, l’ami Robin, nous ne sommes que l’addition salée de ce nos choix à l’aveugle, des erreurs que nous commettons.
Vu que l’absurde contrôle nos petites existences, vu que rien ne nous permet de maintenir nos corps hors de l’eau, peut-être qu’avant on pourrait juste essayer de vivre.
As We Make Our way (Unknown Harbours) est de ces disques modestes, forcément sincères, pleins comme les multiples facettes qui font un individu et une histoire. Ces musiques de l’intérieur de nous.
Greg Bod
Sophia – As we Make Our Way (Unknown Harbours)
Label : The Flower Shop Recordings
Sortie le 16 avril 2016