Ennemi du vide, Christophe préfère le palpitant chaotique et propose pour cette 13e réalisation un grand disque à explorer encore et encore.
C’est peu de dire que le nouvel album de Christophe divise la rédaction de BENZINE Impressions de redites pour les uns, chef d’œuvre pour les autres.
Comment comprendre l’attirance que l’on peut ressentir à l’écoute de la dérive étrange et androgyne des disques de Christophe ?
Cet éternel malentendu de ce musicien qui a commencé sa carrière dans la période yéyé et qui d’albums en albums ne cesse de se déconstruire pour mieux se déconstruire. Chez BENZINE, il est peu de dire que ce 13éme album de Daniel Bevilacqua divise. Certains y voient un échec, allant jusqu’à ce mot d’esprit réduisant le titre de l’album aux simples vestiges sans chaos. Une forme mais pas de fond, des restes sans saveur.
D’autres y voient la grande œuvre de Christophe, pour ne pas dire le chef-d’œuvre absolu du créateur. On laissera de côté les lieux communs inhérents à l’icône. Aérien, évanescent, atypique.
Écouter un disque de Christophe, c’est accepter de se laisser déborder par un univers qui joue avec les limites, celle du bon goût et du kitchissime, des points de suspension entre James Dean et Brassens.
Dans d’autres mains, avec d’autres voix, tout s’écroulerait comme un château de carte dans la vulgarité ou dans la guimauve. Il a ce talent de rendre simple des choses complexes, de résumer des vies en quelques lignes. De Lou qui fait du Tai Chi sur une plage non loin de Laurie comme la résurrection de l’ex-leader du Velvet Underground dans cette merveille impressionniste qu’est Lou.
Christophe a cette audace, cette originalité de ceux qui n’ont que faire de prouver ou non quoique ce soit. Chez lui, ce qui semble primer, c’est l’envie d’expérimenter, de triturer la chose sensible pour provoquer le frisson. On pensera souvent à Bashung, notamment avec Dangereuse comme un hommage à la Madame Rêve de celui qui nous manque tant.
Autre point commun avec l’auteur de L’Imprudence, celle d’avoir toujours su s’entourer. On se rappelle bien sûr des collaborations de Bashung avec Rodolphe Burger ou les membres de Portishead. Il en est de même pour Christophe qui en son temps travailla avec Fernando Corona alias Murcof ou Erik Truffaz.
La volonté n’était pas d’apporter un argument supplémentaire de vente mais réellement d’apporter d’autres couleurs, d’autres saveurs. Rien de surprenant donc à retrouver Alan Vega dans un Tangerine déviant tant les accointances entre Christophe et les disques de Suicide semblent évidents. Rappelez-vous Bevilacqua largement boudé à sa sortie où l’on trouvait déjà l’américain dans un duo superbe.
Doit-on y voir l’indice d’une forme de continuité, d’une filiation entre les deux disques ?
On y retrouve également Marc Hurtado, membre d’Etant Donnés, également auteur de la bande originale du film Sombre de Philippe Grandrieux. Marc Hurtado qui avait d’ailleurs collaboré avec Alan Vega sur son album Sniper qui a d’ailleurs inspiré Tangerine.
Osons une comparaison présomptueuse. Ne pourrait-on pas dire que Christophe est un peu notre David Bowie hexagonale, à savoir une tête chercheuse qui va chercher ses sources dans l’avant-garde pour en faire une œuvre certes singulière mais plus accessible ? Une œuvre à la fois visionnaire mais simple
On hésite entre des discos fin de siècle et des ambiances au bord du sirop mais qui pétillent comme la vie. Il a toujours été de ceux qui refusent d’avoir à choisir entre écrire une Boule de Flipper pour la starlette one Hit Wonder Corynne Charby et une aspiration pour l‘étrangeté.
Dans l’univers de Christophe, il y a deux Christophe. Le chanteur et son alter ego Christophe Van Huffel. Sans doute vous rappelez-vous de Tanger, auteur de quelques albums plus qu’essentiels et aux abonnés absents depuis quelques années ? C’est ce que l’on appelle une collaboration réussie tant l’ancien leader de Tanger se met au service de son camarade d’expérimentation.
Chez Christophe, on est toujours au bord du gouffre, toujours au bord du pathétique, toujours au bord de la boursouflure maladive. D’Ange sale qui rappelle le temps où M83 avait encore des choses à dire, tout en images panoramiques au format grand angle au vocoderisé Mes Nuits Blanches comme la réminiscence de Succès Fou, Christophe ramasse ses propos dans une concision nouvelle, comme un retour aux essentiels, à l’essence de ce qui le constitue.
On connaît aussi bien sûr la cinéphilie de Christophe. Que ce soit ici la présence d’Anna Mouglalis sur l’habité E Justo et ces fragments du poème Vale de Catherine Pozzi ou ces voix chuchotées qui nous accompagnent tout au long du disque comme les dialogues d’un film imaginaire, ces atmosphères changeantes comme les chaleurs étouffantes avant les orages, ces vents forts et chauds alors que vous êtes au milieu de nulle part. Cette menace qui s’annonce dans ce paysage l’instant d’avant paisible comme le rictus passager qui traverse un regard, comme l’inhabituelle posture d’un visage.
Christophe est ennemi du vide, il lui préfère le palpitant chaotique, ce qui se devine quand tout est presque à nu, ce qui se dévoile quand il ne reste presque plus rien… Quand finalement, il ne reste que les empreintes de ceux qui furent, quand il ne reste que les vestiges d’un chaos. Simplement, il reste un grand grand disque à explorer pour organiser et structurer le désordre.
Greg Bod
Christophe – Les Vestiges Du Chaos
Label : Universal
Sorite le 01 avril 2016