Le plus que prolifique Andrew Bird revient avec Are You Serious. Le Andrew Bird nouveau est arrivé. Le cru 2016 est un grand cru.
Depuis ses débuts, Andrew Bird, dans ses envies d’expérimenter et de ne pas fermer son inspiration à tel ou tel courant musical, dans sa manière bien à lui de faire cohabiter des éléments incongrus a plus qu’un peu en commun avec un certain David Byrne, ancien leader des Talking Heads pour ceux qui ne connaîtraient pas. Ce ne sera pas Are You Serious qui viendra perturber cette impression. Prenez Capsized et son groove décalé qui ne dépareillerait pas sur un disque de son ainé new yorkais ou encore Roma Fade et son nom trompeur qui doit plus à des sonorités Mariachi avec le violon d’Andrew Bird qui entre en scène.
Chez Bird, il y a toujours un sens inné de l’installation d’une dramaturgie, faite de faux-semblants et de chausse-trappes comme ce Truth Lies presque fuyant quand Chemical Switches lui glisse le long d’une mélancolie apaisée avec ces sifflements si familiers pour ceux qui connaissent le travail de l’américain. Il n’y a peut-être que Josh Rouse pour amener le Folk tel que le pratique Andrew Bird vers des mêmes chemins de traverse qui rendent leurs musiques apatrides quand elles ne sont pas carrément sans frontières.
Ce disque contient une grande et belle nouvelle, celle du retour d’une artiste rare. Cette Fiona Apple qui amène une gouaille nouvelle et ravagée à Un Left Handed Kisses qui rappelle le meilleur de Lee Hazlewood. On connaît le regard acéré de Fiona Apple sur l’industrie du disque. Il est loin le temps de Tidal (déjà 20 ans) où la jeune dame irradiait de ses charmes virginaux. Sur ce titre de son ami, sans fermer les yeux, on pourrait se croire dans un Honky Tonk avec la maîtresse des lieux qui vous remet une bonne rasade de l’eau de vie distillée en local, de celle qui vous arrache les tripes, le cœur et le foie.
Chez Andrew Bird, il y a cette classe personnifiée, sans démonstration, cette nonchalance. Il y a aussi ce qui est planqué dans les tiroirs de ses mélodies faussement simples quand elles ne semblent pas carrément académiques. Ces petits arpèges de guitare sur Are You Serious comme une démonstration de légèreté, l’air de rien.
Chez Bird, il y a aussi ce tropisme typiquement américain pour les grands espaces, pour la cinémascopie de l’intime, pour l’infini des grands angles comme Saints Preservus qui débute comme un traditionnel américain pour aller mieux s’égarer avec délices dans des dérapages à la Violent Femmes ou des Decemberists.
Sans doute faut-il voir ici une des raisons qui expliquent l’étrangeté ressentie à l’écoute des albums de l’homme oiseau. Ce côté bancal, presque déséquilibré comme le fourmillement d’idées que l’on ne sait pas et que l’on ne veut pas maîtriser, quitte même à égarer en cours de route avec une petite perversion acceptable son auditeur. Appréhender l’univers de l’américain demande un presqu’effort, quelque chose de presque pas ressenti. Un jeu avec le facile et le complexe. Un sens d’apprivoiser en l’autre sa part attentive. Comme avec The News St Jude qui semble continuer l’exploration des polyrythmies africaines que Paul Simon avait commencé avant lui avec Graceland.
Andrew Bird a l’art de la déroute et de la dérive. Il semble n’avoir que faire de nous égarer. On pourrait même dire qu’il y prend même un certain plaisir car il peut passer d’une construction savante à une bluette pour ensuite se lover dans un psychédélisme dans lequel se reconnaîtraient pêle-mêle Jason Lytle ou encore Wayne Coyne. Are You Serious, c’est une question qui nous est posée mais qu’Andrew Bird semble se poser aussi à travers un album Pop aux mille et une facettes, à la richesse inépuisable. Une richesse qui se paie, qui se mérite comme tous les grands disques. Comme une proposition de réflexion, de questionnement. Grâce à Andrew Bird, nous n’avons pas fini de dessiner les contours et les courbes d’un point d’interrogation.
Et vous, êtes-vous sérieux ?
Greg Bod
Andrew Bird – Are You Serious
Label : Decca Records
Sortie le 1er avril 2016