Alors que son amie Maissiat sort un second album d’apparence classique, Katel propose un « Elégie » aventureux et complexe qui se mérite d’écoute en écoute.
Bien entendu, la période, crise économique oblige, n’incite pas forcément l’industrie du disque à l’inventivité et à la prise de risque. Il n’est pas rare, si on se l’avoue en toute franchise, de se dire par moments qu’en somme on se retrouve souvent face aux mêmes propositions musicales, par-delà les angoisses communes à une société car un artiste n’est rien moins qu’un habitant de notre cité. On s’égare parfois à se dire qu’on en a un peu assez de ces suiveurs qui recyclent leur Dominique A ou leurs Daniel Darc.
Aussi quand on est face à la singularité, faut-il savoir lui rendre hommage. Avec l’OVNI Elégie, force est de le reconnaître. Katel a un univers peu rencontré par ici. On ne pourra trouver pareille impression peut-être que chez My Brightest Diamond pour ces mêmes aspirations vocales qui vont chercher bien plus dans le domaine de la musique classique que dans la Pop. Par classique, entendez l’union de voix mouvantes qui doivent tant à une certaine théâtralité.
Elegie est un travail sur la voix, constitué autour de la voix. Katel y chante la mort d’un amour et la mort d’une mère à travers des compositions à la fois lumineuses et pleines d’aspérités.
Voûtes ressemble à un manifeste dans ce climat d’épures, centré autour de la voix de l’auteur. Il y a quelque chose de l’ordre du Deus Ex Machina dans ces 11 titres aux envies de ciel. Entre Trip Hop enfin incarné et des mélodies aux envies baladeuses. Entre la réduction à la seule expression d’un sentiment et désir d’exclamation presque contenu.
Les références vont aussi bien chercher dans la musique baroque comme avec Cyclones que du côté de Feist avec ce Doo Wap 2.0 sur A l’aphélie.
Katel a cette acuité de distance sur son travail pour intégrer par-ci, par-là des petites pauses, des titres de facture plus classiques comme des contrastes qui mettent en valeur le grain de folie de la dame mais aussi sa capacité à traduire la frontalité d’un constat terrible. « Maintenant que tu es loin, je vis de vide en vide ». Qui n’a pas connu une fois dans sa vie cette impression de vacuité, de nécessité de dispersion face au quotidien terne. Katel glisse aussi des références littéraires comme cet entretien de Marguerite Yourcenar dans Danse sur le Lac de Constance. N’y voyez pas l’étalage d’un name dropping mais un éclairage sur ce que nous sommes.
Comme chez son ami et collaboratrice Maissiat, on retrouve chez Katel cette même attirance pour une Variété haut de gamme, celle de Françoise Hardy mais aussi pour une chanson française de grande facture qui joue avec les mots. Comme chez Maissiat, on retrouve ce que pourrait être Barbara en 2016. D’un Hors La foule qui rappelle parfois l’auteur de La Question à un Ralentis tout en dérive. Katel parvient une nouvelle fois encore à nous convaincre qu’elle peut tout tenter, tout explorer comme une laborantine sensuelle. Construire ici une mélodie toute habillée, presque propre et là déconstruire un squelette d’harmonie qui dérape, comme une perte de contrôle.
Rien de savoir que participe à la retranscription sur scène de ce disque hors norme la divine Nathalie Réaux, croisée aux côtés d’Albin De La Simone ou plus récemment de Miossec.
Si vous ne connaissez pas Pagan Poetry, le projet de la dame, je ne peux que vous conseiller de vous ruer au plus vite sur son Ep, The Unseen, sorti il y a deux ans qui mérite plus qu’une écoute attentive. Katel chante dans Echos « De l’écho vidons le charme ». Bien plus que de diluer l’envoûtement, avec Elégie, elle fait acte de beauté. Celui d’une grande artiste en pleine maîtrise ouverte à tous les points cardinaux, aux soufflants des roses des vent.
Une grande artiste qui offre un disque difficile car la liberté brûle toujours le regard au début. L’œil doit s’accommoder aux idées nouvelles, l’oreille doit laisser se libérer une harmonie inédite. Katel chante une anarchie douce, une provocation légère, la peinture d’un refoulement. Un grand disque complexe comme seule la vie peut l’être.
Greg Bod
Katel : Elegie
Label : A(t)home
Sortie : le 08 avril 2016