On peut être contemplatif et abrasif à la fois. Cyril Secq, en compagnie d’Orla Wren, prouve avec ce Branches qu’il est fait du bois des grands arbres.
C’est quoi être contemplatif en musique ? Etre tout au bord du silence ? Jouer avec la seule texture ? Malaxer les hautes fréquences ? Sans doute oui. Prenons nos inusables à la page David Sylvian et Mark Hollis si vous voulez bien. Certains d’entre vous seront restés au chapitre Pop des messieurs, n’entendant rien à ces approches du silence. Pourtant, c’est justement dans ce combat avec le néant et le chaos qu’ils furent bien souvent les plus passionnants, dans cette analyse du presque rien qui refusait de nous laisser dans un confort trop bourgeois.
Cyril Secq est de cette catégorie et le prouve une fois encore avec Branches, ici accompagné du Sound designer anglais Orla Wren. On le connaît déjà avec Astrid où il dissèque un post-folk osseux et fantomatique. Ici, c’est à la fois autre chose et la continuité.
Branches nous rappelle ô combien la chose musicale est d’abord une affaire de sens, de sensualité. Si par hasard, vous vous faisiez une idée de ce type de projet comme quelque chose d’intimidant, de l’ordre de l’intellect et du cérébral, détrompez-vous une bonne fois pour toutes. C’est d’abord par le frisson de votre peau que vous appréhenderez cette musique.
Sans tomber dans une comparaison trop facile, explorer Branches, c’est comme de monter le long d’un arbre, de vertige en vertige, de troubler sa perspective. Tout ici est organique, vivant et palpitant. Jouant sur la dissonance et l’épure, Branches redonne âme à l’infiniment petit sentiment de peur que l’on ressent quand on se perd dans une forêt à la tombée de la nuit.
Tout ici rappelle l’humus, la matière où ce qui grouille n’est jamais factice. Tout est craquement, infimes ruptures comme des déclinaisons.
La musique de Cyril Secq et d’Orla Wren est à la fois verticale et horizontale. Lentement progressive comme une graine qui germe et progressivement lente comme une racine qui s’installe.
Parfois, dans ces climats perturbés, on croisera Library Tapes ou encore Mathias Delplanque. C’est une architecture du peu visible, du microscopique
Contemplatif ne veut pas pour autant signifier béatitude naïve. Ici, la beauté est toujours menacée par ces minuscules stridences comme de lointains échos de la ville ou de la population des prairies.
Le temps de ces huit branches, on regagne ces près isolés au bout de ces petits chemins de campagne. On y est arrivés par un vieux pont un peu oublié. L’herbe est haute et bruisse au vent, son matelas est doux, on s’y allonge avec plaisir.
On n’en ressent alors que plus fort toute l’attraction de ce folk dérouté, de ceux que faisait parfois Mark Linkous, ces délicatesses fragiles comme cet instrumental du même nom qui ferme Dreamt For Light Years In The Belly Of A Mountain.
Branches est d’une cohérence absolue, comme un album concept qui ne voudrait pas dévoiler trop vite le message qu’il souhaite nous laisser deviner. Une musique qui fait autant appel à notre intuition qu’à notre perception.
Peut-être connaissez-vous le travail de That Faint Light, la réunion d’Adrian Lane et de Guido Lusetti de Loalue qui parviennent à eux deux à rendre l’abstraction poétique dans cette juxtaposition de cloisonnement de l’espace et de fenêtre ouverte à tous les vents. Avec Branches, c’est exactement la même chose, une musique de transcendance qui ne bouge pas du sol, qui y reste ancrée comme les racines immuables d’un arbre, comme les branches d’un chêne, comme des mains qui enlacent.
Greg Bod
Cyril Secq & Orla Wren – Branches
Label : DronariVm
Sortie le 25 mars 2016