Après deux albums difficiles à classer, Melanie De Biasio revient avec une pièce étrange de 24 minutes, entre odyssée Jazz et rêveries.
C’est quoi le rapport à l’épreuve en musique ? Sans doute, faut-il y voir un jeu avec le silence, la durée et la longueur. Une passerelle ténue entre la douleur, la cruauté et l’empathie. On n’oubliera pas de sitôt les espaces mouvants de Mark Hollis et de Talk Talk, les envies soporifiques de Max Richter sur son œuvre marathon, Sleep, qui veut accompagner nos nuits de sommeil.
On ne s’est toujours pas remis de cette confrontation au temps avec l’éprouvant Les Heures de Mendelson.
Quel plaisir masochiste allons-nous chercher dans ces disques au bord du rien ? Sans doute, un miroir tendu mais aussi une douleur méritable. Les 24 minutes 17 secondes qui structurent Blackened Cities, la nouvelle création de Melanie De Biasio, rentrent dans cette catégorie-là. Des disques qui se méritent et se gagnent aux plus endurants. Ces disques qui offrent bien plus que ce que l’on croyait y trouver en y pénétrant.
Les plus curieux avaient découvert la chanteuse belge dès 2007 avec A Stomach Is Burning mais ce n’est qu’avec No Deal en 2013 qu’elle se fit connaître d’un plus grand nombre. Une artiste qui devait autant dans la complexité de ses harmonies au Jazz qu’à l’Electro mais aussi à une forme de lenteur qui prend son temps.
Pêle-mêle, on pensera à Nina Simone, à Portishead pour ce combat avec les formats. A l’écoute de Blackened Cities, on retrouve ce groove sombre, de celles que l’on retrouve sur les grandes pièces de Jazz, comme chez Coltrane ou Davis par exemple.
Pourtant vient s’y joindre un contrepoint affirmé, une climatique pesante, comme pour définitivement mettre à distance tout pensée de Swing. A l’image de ce que l’on peut retrouver chez Dale Cooper Quartet ou Bohren & Der Club Of Gore.
La dame reste dure à cerner car elle sème dans sa musique une forme de sensualité sèche qui rappelle insidieusement la Soul soyeuse des années 70, des Staple Singers à Curtis Mayfield ou encore Al Green. On rencontre parfois ça et là le disque que ne fera plus Massive Attack avec cet étrange bouillonnement qui traversait autrefois ses disques.
Si vous avez 24 minutes et une poignée de secondes à gagner, entrez dans ces Blackened Cities, une fois en ces lieux, le temps passe bien trop vite. Une minute dure une fraction de seconde mais elle est riche comme un siècle.
Melanie De Biasio nous invite à cette errance dans les rues des villes mortes. On y entend les murmures d’individus, les traces, les ombres de ce que furent ces vies-là, hier, autrefois, aujourd’hui… Demain… Encore.
Greg Bod
Melanie De Basio – Blackened Cities
Label : Pias
Sortie : 20 mai 2016