C’est avec un super groupe constitué de membres de Slowdive, de Mogwai et des Editors que Minor Victories arrive. Arnaque ou grande réussite ? Faisons le tour de la question…
Une fois n’est pas coutume, je vais vous parler d’une période que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. C’était un temps où Internet ne régissait pas encore nos vies, ou se procurer un disque de ce que l’on n’appelait pas encore le Rock Indé relevait du parcours du combattant, où l’on lisait avec assiduité les Inrocks, Magic! pas encore RPM.
Je me rappelle de ces années 80 qui semblaient encore un peu se prolonger dans les années 90 car, c’est bien connu, une décennie ne se commence pas ni ne se termine à son année Zéro. Ce serait trop simple et trop convenu.
C’est sans doute l’avènement du Grunge qui marqua le certificat de décès des Eighties. Il faut bien reconnaître que le Shoegazing poursuivait l’héritage de la Cold Wave des Cure et autre Cocteau Twins avec plus ou moins d’inventivité, plus ou moins de talent.
Je me rappelle de My Bloody Valentine que tout le monde encensait, je me rappelle de Slowdive dont tout le monde se moquait un peu. C’est peut-être un peu pour cela que je conserve un souvenir un peu amusé d’un concert de la bande de Neil Halstead à La Route du Rock il y a 3 ans. Je ris encore du souvenir des regards enamourés dans le public, des quarantenaires aux tempes grisonnantes, au ventre un peu installé. Je ris encore un peu. C’était sans doute ces mêmes personnes qui voyaient dans la musique de Slowdive une forme d’escroquerie, dans cette saturation ennuyeuse et lisse. C’était sans doute eux aussi qui traitaient de tous les noms d’oiseaux la musique des anglais. Il fallut quelques années à Neil Halstead et les siens pour trouver une légitimité à défaut d’une reconnaissance, eux qui connaissaient au mieux l’indifférence, au pire les quolibets.
On a parfois l’amnésie facile, on oublie facilement nos jugements en jurant sur nos bibles du Rock combien tel ou tel groupe a toujours proposé quelque chose de grandiose. Aujourd’hui, force est de convenir que Slowdive a influencé nombres de groupes comme Mogwai ou Editors. On était donc très intéressé de voir ce que ceux-là réunis ensemble pourraient proposer. On est souvent sceptiques concernant les super groupes car malheureusement, cela fait souvent pschitt… Sans doute la faute à la rencontre de trop d’égos, de personnalités musicales trop fortes.
Minor Victories, ce n’est ni une énième version de Mogwai, des Editors ou de Slowdive (ou Mojave 3). C’est un peu tout à la fois. Prenons Rachel Goswell par exemple. Elle n’a jamais aussi bien chanté que sur ce disque, dans un registre sensiblement différent de ce qu’elle pouvait proposer jusqu’à présent dans sa discographie. La voix est moins évanescente, plus au centre de l’orchestration. Bien sûr, on retrouve les déflagrations de Mogwai mais elles sont ici domptées et maîtrisées au service de structures Pop.
Give up The Ghost ressemble à du Garbage revenu à son meilleur quand A Hundred Ropes marque le territoire de Stuart Brastwhaite. On s’est souvent amusés à s’imaginer à quoi ressemblerait la musique du groupe écossais habillée d’une voix (comme ce fut parfois le cas dans leurs disques). Avec ce titre, on se rend compte que Mogwai est aussi un groupe Pop mais peut-être devrions nous dire Minor Victories.
On croise Kate Bush ou Liz Frazer dans le crépusculaire Breaking My Light, pas si éloigné de ce que Craig Armstrong proposait sur The Space Between en 1997.
Ce que l’on pouvait craindre dans ce super groupe constitué en partie de vieilles gloires des années 90, c’est l’écueil du regard dans le rétroviseur, les tics passéistes et faciles. Mais finalement, ce que l’on tire de cette rencontre, c’est des artistes qui se mettent au service de compositions certes pas révolutionnaires mais tout à fait dignes d’intérêt. Même les Editors souvent indigestes tirent leur épingle du jeu.
Bien sûr, il y a quelques clins d’œil à une période musicale. Scattered Ashes (Song For Richard) semble titiller les terres des frères Reid de Jesus and Mary Chain. Pour autant, on n’est pas dans l’autoparodie ou l’autocitation de recettes éprouvées dans chacune des entités des convives à la table de Minor Victories. Folk Arp sonne comme la rencontre entre Nick Drake, Vashti Bunyan et le sublime, le ciel grand ouvert face à vous.
Il faut bien reconnaître de ces artistes là car sans eux aurions-nous eu Beach House pour ne citer que le duo ? Pas sûr. On passera sur Cogs qui s’égare un peu dans une climatique noisy sans grand intérêt et qui crée un contraste bienvenu pour le titre magistral qui le suit. For You Always où l’on se dit que tout ce touche de sa voix Mark Kozelek ici présent se transforme en Or. On tient ici le Roi Midas du Rock indé. Celui qui a trouvé la recette de l’or, l’alchimiste qui amène de banales mélodies vers d’autres frontières. Il fait chanter Rachel Goswell dans un registre inédit pour elle. Construit autour d’un mouvement rythmique, For You Always rappelle étrangement Moondog. Assurément le titre de cet album.
Out Of Sea, The Thief et Higher Hopes sonnent comme des fins de feux d’artifices, en lâcher prise et en déflagration, des murs de son épais striés de la voix de Rachel Goswell.
Ironie du sort ou jeu du destin, on pensera parfois ici et là à My Bloody Valentine pour cette volonté de parasiter le son, d’en faire du bruit. Bien entendu, ce n’est pas le chef d’œuvre que personne n’attendait d’un tel projet mais il n’a rien de honteux, bien au contraire. Il montre avec transparence la réunion d’un groupe d’individus qui ont tous une histoire musicale derrière eux et qui savent modestement taire leur expérience pour se mettre au service du bien commun…
C’est une victoire mineure certes mais c’est quand même une victoire
Greg Bod
Minor Victories – Minor Victories
Label : Play It Again Sam
Sortie le 3 juin 2016