Avec Ramo, Tue-Loup ouvre grand les portes de sa maison pour nous faire profiter de compositions, d’arrangements et des textes soignés comme jamais. Un grand cru de 2016 !
Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, arrivé presque au mois de juillet commence à se dégager lentement mais sûrement les contours d’un palmarès de films, de livres et de disques qui auront constitué l’année en cours. Il est sans doute prématuré pour dégager des tendances d’un point de vue musical de ces mois passés ou pour dire si 2016 a été ou non un grand cru. Ceci dit, force est de reconnaître que quelques disques quittent peu nos platines depuis leur sortie, indice suffisamment pertinent pour commencer à nous donner des indices sur l’endurance de notre intérêt à leurs égards. Citons pêle-mêle Sophia et son incroyable retour, Pascal Bouaziz et son superbe Haikus en solo, Andy Shauf et quelques autres.
2016 sera-t-elle une grande année pour notre chanson hexagonale ? sans vouloir faire mon devin ou mon Nostradamus des lendemains de week-end, je crois bien que l’on peut dire oui car s’il est un disque que l’on devra retenir de cette année, c’est sans aucun doute le nouveau disque de Tue-Loup, Ramo.
Cette chronique vient quelques temps après sa sortie. Non pas parce qu’avec le nouveau disque de Xavier Plumas et des siens, il y avait eu un rendez-vous manqué. Un tel ouvrage demandait un temps de digestion, de consommation de ses subtilités pour tenter de lui rendre justice à travers mes quelques mots.
D’entrée, soyons honnêtes. Nous avions un peu dédaigné le travail du sarthois depuis quelques années, la faute à des disques peut-être plus difficiles dans leur écoute. Pourtant, cela restait souvent passionnant. Qui n’a pas écouté La Gueule du Couguar de Xavier Plumas est passé à côté d’un immense disque sorti trop discrètement en 2009 ? On pourrait y joindre nombre des disques de Tue-Loup.
Avec Ramo, le groupe revient à son meilleur. Par meilleur, entendez bien sans doute le meilleur disque de Xavier Plumas avec ou sans ses compères. On a entendu rarement des arrangements aussi élégants et racés que ceux qui habitent les douze titres. On retrouve sur ce disque une forme de tropicalisme langoureux bien éloigné des cieux de plomb de notre scène hexagonale. La faute sans doute à son autre projet, De Vasconcelos où l’auteur de Penya s’aventure ailleurs. Ramo, c’est un peu la rencontre improbable entre Milton Nascimento, Baden Powell et Bashung. Il y a dans Ramo une torpeur, une douceur de vivre. Vous savez, ces climats tranquilles comme des percées dans les nuages, des éclaircies. Le premier mot qui vous viendra à l’oreille à l’écoute de ce disque, ce sera sans aucun doute lumière, lumineux mais aussi sensuel. On y croise un Xavier Plumas apaisé, pas béat mais heureux, juste heureux.
Il y dans Empreinte par exemple cette beauté des mots simple, cette contemplation presque triviale de celle que l’on aime. Des tout petits moments du quotidien. Il y a cette écriture rare et forte sachant allier la force de la banalité à l’assurance de la modestie. Dans La Haute Epine, il y a cette nonchalance première, cette langueur paresseuse de celle que l’on trouvait chez Georges Moustaki.
Ramo est de ces disques qui vous piège lentement. On y entre avec tant de facilité, ce sourire aux coins des yeux qui jamais ne nous quittera. De In Vivo ou du Sibyllin Tejo en passant par le sublimissime Hirondelle, on est saisis par la beauté évidente qui se dégage de cet ensemble. Onirique et tendre, ces titres ressemblent à des dérives sans angoisse, des marches à hauteur de barque sur des eaux aux courants légers.
Dans Ramo, on retrouve les mêmes mélancolies qui habitent les disques de Luiz Bonfa, ceux d’Henri Crolla, de Titina. Des mélancolies solaires, dénuées de tristesse, un peu à l’image de la chaleur après les pluies d’été.
Les arrangements sont beaux comme rarement, citons la clarinette de Renaud Gabriel-Pion croisé déjà aux côtés de Xavier Plumas (et de bien d’autres). Toujours au service de l’émotion, ils restent dans une juste mesure sachant jouer avec l’acoustique et l’électrique. Au fur et à mesure, on a l’impression de rentrer dans une grande maison, de la découvrir pièce après pièce, de s’y sentir bien, de ne pas vouloir la quitter. C’est une grande maison mais modeste, pas tape à l’œil, pas de signe extérieur de richesse ni de folie des grandeurs. Quatre grands murs et tout plein de chaleur humaine à l’intérieur. C’est largement suffisant.
Tue-Loup joue avec les lexiques, ici clair, là ésotérique… Ici Bossa, là plus frontalement Rock comme sur Le Tigre Voyageur pas si éloigné du Murat des jours du Jaguar.
Ramo s’écoule lentement jusqu’à son terme sans le moindre faux pas. De Ton Frère en reflet de l’autre au dernier cheval qui mène à la nuit dans la superbe Forge Clandestine comme la réappropriation du disque brésilien de Nick Cave, The Good son à Ramo Contra O Medo avec Marlene Etienne de De Vasconcelos en conclusion parfaite et modeste à ce grand disque, on sait bien là que l’on tient ici un album que l’on écoutera encore dans bien des années, que l’on y reconnaîtra les qualités que l’on trouve aux seuls vrais amis, cette présence dans tous les moments de la vie, les meilleurs comme les pires, les deuils comme les joies. Ramo sera de ces œuvres à la fois rassurante et vitale. La marque des disques fondamentaux.
Tue-Loup – Ramo
Label : Dessous de scène/L’autre distribution
Sortie le 04 mars 2016