En mélangeant trois ingrédients essentiels que sont la richesse des textes, la qualité du rock et la recherche de l’attitude, les français de Radio Elvis nous emmènent à la « conquête » du monde francophone.
Radio Elvis a un côté super énervant. Ils sont encore presque jeunes et usent de ce côté gravure de mode rock dont les anglo-saxons font les stars. Même si l’histoire de la France jusqu’ici n’a fait… pas grand chose de ce type de ferments , parce que la France, n’est pas connue pour sa culture populaire du rock et que pour accéder à son panthéon musical il faut, dans l’hexagone pouvoir sortir sa carte « chanson française » en regardant ses pieds. Or ça tombe bien, avec leur look un brin travaillé à base de marinière à faire frémir d’aise Arnaud Montebourg, avec leur style ébouriffé de rebelles juvéniles qui recevraient des invitations aux défilés Dior, Radio Elvis a décidé de commencer sa carrière en s’en allant concourir dans la catégorie « chanson ». Énervants je vous dis.
Oui mais, quand j’ écoute les tous premiers essais et EP de Pierre Guénard et Colin Russeil et quand je me rappelle que Pierre aimait poser ses textes quasi parlés sur une musique de quasi ambiance propice à la contemplation de ses orteils; je me rend compte que la petite équipe est rapidement passée d’un groupe de chanson, un peu folk, un peu tarte, oui un peu énervant, à un groupe de rock dans son acception « américaine », celle dont là bas on fait les Strokes, mettons.
L’arrivée de Manu Ralambo dans le groupe y est pour beaucoup lui qui, l’air de rien semble avoir ramené dans ses bagages de joueur de Fender une culture plus bruitiste, que j’imagine chargée de Lou Barlow et de Sonic Youth (j’ose la suggestion). Radio Elvis est subtilement passé d’un groupe de « chanson » à un groupe de rock crédible. Mais n’a pas perdu au passage sa composante littéraire. Le résultat est encore parfois balbutiant, comme un enfant qui apprendrait à marcher et se surprendrait de la vitesse de pointe atteinte sur ses deux canes. Il suffit de les regarder en live, comme l’autre jours sur le plateau d’Acoustic, pour se rendre compte que l’énergie de leurs envolées les surprend parfois, qu’ils ne savant pas toujours gérer, avec la morgue ou le punk dans lesquels les groupes rock anglo-saxons excellent, les moments où ils se laissent déborder par leur propre son. Et l’air de rien ça les rend touchant, réels, humains.
Parce que là où ils sont fortiches ces Radio Elvis, c’est qu’ils semblent poser aussi un regard analytique sur leur démarche. On sent que Pierre et Colin comprennent tout à fait l’évolution en cours, et les éléments qui concourent à leur rapide croissance dans la reconnaissance publique. Ils jouent avec ce subtil mélange d’image, de littérature et d’efficacité mélodique, comme ils géreraient un trésor de guerre. Malins.
Les conquêtes, leur premier album, est le parfait reflet de cette démarche. Une dose de chanson, un poil d’image, un soupçon de rock. Ou comment prendre le matériau des premiers EP et le magnifier. Ce disque vient et revient sur ma platine. Les MP3 m’accompagnent souvent. Et il n’est pas rare de m’entendre siffloter les mélodies qui ont cette capacité de toutes poser une intention musicale forte. Elles ont de la longueur en oreille. Tous les articles que j’ai lu parlent d’une filiation évidente avec Bashung. Ce n’est pas faux, mais c’est sans doute un peu fainéant. Effectivement en France, ils sont peu à avoir réussi le mixte chanson + Rock + style. Mais Bashung n’est pas le seul. Le plus évident, sans doute.
Il y a aussi comme chez Bashung, c’est indéniable, cette manière de composer de Pierre Guénard qui semble devoir beaucoup à l’évocation plutôt qu’à la syntaxe, aux associations de mots et de sons plutôt qu’à la narration linéaire. Et dans ce genre d’écriture effectivement, le regretté Bashung était un maître. On pourrait aussi citer Jean-Louis Murat qui lui aussi pratique rock et chanson signifiantes par interprétation et qui l’emmène souvent sur des territoires et des grands espaces qui semblent inspirer Radio Elvis
Guénard aime lire, ça se sent. Le choix des mots est rigoureux. Le choix des sons qui rebondissent dans les phrases, aussi. Même si la prose est souvent peu narrative, elle raconte le monde par association, comme on filerait les métaphores au gré des signifiés de chaque mot. Guénard respecte les auteurs français. J’ai récemment emmené le groupe tourner dans la maison de Boris Vian à Paris, et je l’ai vu bloquer sur les collages de Jacques Prévert accrochées chez l’auteur de l’herbe rouge. Ses paroles sont des voyages immobiles en quête de sens, en quête d’inscription dans une tradition. Pas étonnant, sans doute, que les signifiés tournent souvent du côté de l’ailleurs, du voyage, des contrées lointaines, avec une soif de découverte, de tester, de goûter qu’on ne retrouve que dans la jeunesse.
Il y a quelque chose de poétique dans la musique rock de Radio Elvis, quelque chose de la fougue de Rimbaud dans la manière de composer et de mettre en mots les chansons. Un des titres rappelle souvent le mot « synesthésie » . Oui il y a quelque chose de cette méthode romantique consistant à mélanger son et image, mot et ressenti. J’ai beaucoup lu Mallarmé à une époque lointaine. Je n’y ai jamais trouvé d’aventure poétique correspondant à mon besoin de narration, mais j’ai toujours vu en ce poète des bords de Seine une énigme littéraire. Comment, à lire ses textes, arrivais-je à ressentir des personnages et des histoires que, de fait, il n’écrivait pas vraiment. Il y a de cette impression à l’écoute du rock de Radio Elvis. je voyage mais il ne me raconte pas ses errances géographiques, je tape du pied comme il se doit en rock, mais je ne sais pas vraiment si j’ai le droit de me laisser aller à cette réaction primaire.
Un album efficace, fruit d’une démarche en devenir, et d’une envie qui s’entend à chaque son. Un bien bel album de rock français, et globalement de la belle ouvrage. Chapeau les gars !
Denis Verloes
Radio Elvis – Les conquêtes
Pias
Sortie: 1er avril 2016