Un nouveau venu apparaît dans un genre largement encombré, celui du néo-classique et plus précisément du « solo piano ». Il s’appelle Joep Beving et son premier album est lumineux.
S’il est un genre qui connait bien des embouteillages, c’est bien le Néo-classique. On ne parlera pas ici de l’exemplarité des productions du label Erased Tapes par exemple. Peter Broderick, Lubomyr Melnyk ou Nils Frahm. Ces artistes qui nourrissent leur piano de certains traits de la musique contemporaine, de la grande musique et de la Pop. Des musiciens qui rendent les œuvres instrumentales moins intimidantes, moins dans une posture avant-gardiste ésotérique ou hermétique.
Le Hollandais Joep Beving avec son premier album, Solipsism, apporte suffisamment de singularité et de sincérité pour faire bien plus que de seulement maintenir notre attention tout au long de ces onze titres. Bien entendu, on reconnaît bien chez le Batave une accointance avec les glorieux aînés de l’école romantique (Schumann, Schubert, Paganini, Lizst…) mais sa curiosité a sans doute posé sur son chemin les grands disques de l’excellent Label ECM. Pensons à Keith Jarrett ou encore à Ketil Bjørnstad mais aussi à Arvo Pärt pour ce même jeu avec les silences, comme la prolongation d’une note indolore.
Il semble loin le temps où le monsieur officiait comme clavier dans The Scallymatic Orchestra, obscur groupe d’Afro-Jazz certes efficace mais sans un intérêt vraiment affirmé au vu de ce que l’on peut trouver comme trace ici et là sur le Net. Il y a chez Joep Beving ce même goût de la légèreté, de celles que l’on retrouve sur les disques en solo de l’ex Devics, Dustin O’Halloran. Les ambiances ne sont jamais chargées ou plombées, tout au plus se dégage de ces vignettes musicales une impression de fin de siècle, la peinture pointilliste de petites scènes du quotidien à remplir de ses propres images.
Car comme l’indique le titre de cet album, Solipsism. Il n’y a pas d’autre réalité objective que nous-mêmes. La musique de Joep Beving nous donne ce temps-là, précieux… De soi à soi, personne autour.
Chez lui rien ne vient vraiment perturber la tranquillité ambiante ou alors si peu. Pourtant rien n’est lisse. Bien au contraire, cela ressemble à ces ondes à la surface de l’eau après le ricochet et le rire de satisfaction de l’enfant.
On entend derrière, en arrière fond la vie quotidienne de Joep Beving, la voix de ses enfants. Cela finit de nous convaincre du caractère intime d’un tel disque où plutôt que de chercher à nous proposer une œuvre parfaite dans sa construction, dans sa mise en son, lui semble plutôt emprunter le terrain du Field Recording, la spontanéité de l’enregistrement brut.
Certains oseront parler de ces musiques là en y ajoutant le qualificatif forcément péjoratif de musiques d’ascenseur, qu’ils retournent à leur suffisance et à leur surdité. Ne cherchons même pas à les convaincre, Cela ne sert finalement pas à grand-chose sauf peut-être à nuire à notre propre plaisir car trop d’analyse tue la délectation.
Chez Joep Beving, on retrouve cette fraîcheur presque naïve qui rappelle confusément celle du Steve Nieve de Mumu ou la musique pour Piano de George Gurdjieff et Thomas de Hartmann.
Les pistes donnent quelques pistes pour mieux envahir l’espace, pour contribuer de cette suggestion. De Sleeping Lotus au merveilleux The Light She Brings, Joep Biving tisse une mélancolie proche de celle de Dakota Suite mais sans le désespoir.
Un disque qui ouvre le champ à bien des évocations et des lectures.
Greg Bod
Joep Beving- Solipsism
Label : I Are Giant records / Differ-ant
Date de sortie : 20 mai 2016
photo © Rahi Rezvani