Le très prolifique Mark Kozelek revient avec un projet récréatif de reprises qui nous rappelle qu’il est aussi un grand chanteur.
Sans paraphraser une vieille pub pour de la charcuterie. Pourquoi passer à côté des petits plaisirs simples ? Pourquoi se priver de ce qui semble facile ? Pourquoi snober son plaisir comme une pulsion coupable ?
On dit souvent d’un artiste qui propose un album de reprises c’est que, soit son inspiration s’est tarie, soit ça sent le sapin ou encore qu’ il est en fin de contrat avec sa maison de disques.
Cela fait bien longtemps que l’on connait le goût de Mark Kozelek pour le calcul délicat de la reprise. On se rappelle de ses reprises de AC/DC sur What’s Next To The Moon. Ce que l’on sait de lui c’est cette hyper productivité, cette capacité de production et de constance.
Que cela soit avec Red House Painters ou aujourd’hui avec Sun Kil Moon, il reste passionnant mais amenant de plus en plus sa musique vers une dilatation de la narration, un Spoken Word déclamatoire. Dire de ce projet-ci qu’il est du domaine du récréatif est l’évidence même. Par contre, ne franchissons pas le pas de l’anecdotique. On en est parfois proche mais ce que vient confirmer ou rappeler ce Sings Favorites c’est cette petite chose que nous avions sans doute un peu oublié. Mark Kozelek est aussi un grand chanteur, un grand habitant de la chose Pop.
Car il faut bien le reconnaître, un disque de l’américain aujourd’hui se mérite, ne supporte pas une écoute partielle.
A l’écoute de ces douze titres, on se rappelle combien il a toujours été un auteur Pop. Il suffit de se replonger dans Mistress ou Katy Song ou sur Admiral Fell Promises pour en percevoir toute l’évidence.
Sinatra, par exemple, est sans doute le plus grand chanteur que la Pop ait connue pour ce génie qu’il avait d’accompagner jusqu’à son point de rupture une idée tant sémantiquement que musicalement dans une sorte de glissando perpétuelle que l’on qualifiera sans doute hâtivement de crooner… Sinatra était Pop avant la Pop. Sinatra c’est l’été et les douceurs des belles années. C’est l’amertume avant l’aigreur.
Kozelek, lui aussi accompagne les mots mais dans une forme de martèlement, de saccade janséniste, une humeur à l’os. Pourtant que The Voice comme le leader de Sun Kil Moon ont en commun cette connaissance des bleus à l’âme d’Hoagy Carmichael, Cole Porter ou Georges Gershwin. Il suffit d’écouter à suivre les versions de l’aîné et du fiston de cette merveille qu’est Send In The Clowns pour saisir ce qui les réunit et les sépare. Là où Sinatra jouait sur le paroxysme, Kozelek n’appuie pas, est à la fois au centre et en retrait, dans une juste distance.
Il ne faudra pas dire trop vite de ce projet que l’américain y a privilégié la facilité ou encore la frilosité. On pouvait certes s’attendre à des reprises d’obscurs folkeux américains. C’est loin d’être le cas ici. C’est à des standards qu’il décide de s’attaquer. Il faudra également ne pas se laisser berner par l’apparente linéarité de l’ensemble concentré autour d’un piano et de la voix de Mark Kozelek, ici et là soutenu par Mimi Parker Ou Mike Patton.
De Somewhere Over The Rainbow à Moon River, c’est au patrimoine des intouchables qu’il s’attelle. Comme les trop discrets The Innocence Mission en avaient fait de même avec Now, the day is over comme une collection de berceuses pour endormir les tous petits. Kozelek donne une dimension plus sèche à ces titres-là mais une sécheresse paradoxalement douce.
Il reprend le I’m Not In Love de 10CC entendu jusqu’à l’écœurement mille et mille fois pour y distiller un second degré subliminal. Il y a dans ces interprétations une dimension Jazzy nouvelle chez lui.
Reprendre une chanson n’est pas un exercice facile car il ne doit pas se limiter à un exercice de style, à une copie en moins bien de l’original ou à une dénaturation de la création de base. Il amène le Win de David Bowie vers autre chose, vers une nuance palpable.On passera sur le Mainstreet de Bob Seeger trop le doigt sur la couture du pantalon pour asséner encore et encore que l’on se damnerait bien à l’écoute d’Another Day de Roy Harper qui est quand même, il faut bien le dire, une immense chanson.
Côté structure musicale, on pensera souvent au Defenestration Of Saint Martin de Martin Rossiter, ex Gene, pour cette même volonté de l’économie dans les arrangements, de l’utilisation du Piano tant comme textures harmoniques que rythmiques. Prenez le traditionnel Get Along Home Cindy où l’on jurerait entendre sonner une vieille guitare désaccordée en lieu et place des touches noires et blanches ici affirmées. O Holy Night semble sortir de ses albums White Christmas pour cette même religiosité saisonnière quand Something Stupid perd sa dimension béate pour ne garder que sa pureté cristalline. Float on, titre à l’origine de Modest Mouse, conclut ces Favorites songs dans une répétition sans urgence, dans une latence suggérée.
Ce projet n’a aucune prétention ni même la volonté de marquer durablement les esprits mais il ne faudrait pas trop hâtivement y mettre l’étiquette de l’anecdote ou du sans intérêt car on retrouve dans ces douze titres un grand chanteur que l’on avait un peu perdu de vue. Certes, il manque à ces Favorites Songs une forme d’incisivité pour se maintenir en nous longtemps après mais pour autant il ne faudrait pas limiter ce disque à un projet récréatif mais peut-être l’émergence d’une voie nouvelle pour Mark Kozelek.
Greg Bod
Mark Kozelek – Mark Kozelek Sings Favorites
Label : Caldo Verde Records
Sortie le 27 mai 2016