L’allemand Christian Naujoks revient avec un troisième album, Wave, qui enchantera les fans de Durutti Column avec une œuvre aussi frissonnante et élégiaque que mélancolique.
Vous rappelez-vous la première fois où vous avez découvert la musique de Vini Reilly de Durutti Column ? Nous étions en 1985, vous entriez dans l’adolescence. Ce que vous cherchiez avant tout dans la musique à cette époque-là, c’était l’énergie. Une forme d’énergie à puiser dans ce que l’on n’appelait pas encore le Post-Punk mais la Cold Wave. De Joy Division à Minimal Compact, de Tuxedomoon aux Virgin Prunes, c’était leur noirceur mêlée d’une sauvagerie presque romantique qui vous attirait.
Vous rappelez-vous la première fois où vous avez découvert la musique de Vini Reilly de Durutti Column ? Sans doute, l’écoute des Cocteau Twins avait-il un peu préparé le terrain. Treasure ne quittait que peu votre platine, vous trouviez dans cette mélancolie une continuation de vos petites questions d’être unique… comme les autres.
Vous rappelez-vous la première fois où vous avez découvert la musique de Vini Reilly de Durutti Column ? Il y a des moments qui ne s’effacent jamais vraiment. Pour un, ce sera un grand frère qui aura découvert en Angleterre chez un disquaire le précieux objet. Pour un autre, ce sera dans le local d’une petite radio de Brest, les amplis diffusaient Amigos Em Portugal. Vous ne compreniez pas bien cette musique mais sans se l’expliquer vraiment, elle vous touchait d’une manière différente, plus intime. Il y avait quelque chose de plus cotonneux, de plus adulte dans la musique de ce monsieur. On l’imaginait très sage, très à l’écoute des autres, un peu triste, très différent finalement du commun des mortels.
Vous rappelez-vous la première fois où vous avez découvert la musique de Vini Reilly de Durutti Column ? Une musique qui ne se laissait pas épuiser trop facilement et qui se prolongeait désormais dans d’autres musiciens. De Sigur Ros à Epic45 ou encore July Skies, lentement des ramifications se sont tissées, des perpétuations de ses ambiances.
Christian Naujoks, avec ce nouvel album, Wave, est de cette école-là. Une musique rêveuse et volatile structurée autour d’une guitare et de drones en arrière-plan. Wave est le troisième disque du monsieur et ce qui semble se confirmer à l’écoute de cette nouvelle production, c’est qu’il semble tendre vers toujours plus d’organique. Du premier album portant son nom à True Life/In Flames, on avait bien compris que ce qui semblait passionner ce dernier c’était de suivre les traces d’Arvo Pärt, de Wim Mertens. D’un courant qui pointait tant du côté du minimalisme que de l’exploration du silence. Pour autant, il ne faudrait pas voir le travail de Christian Naujoks comme celui d’un ascète habité par la contemplation, sa musique est bien plus riche que des vagues nappes Ambient plus ou moins agencées.
C’est une musique de chambre qu’il propose mais pas au sens premier du terme. Si vous commencez à imaginer un quatuor et une partition classique, détrompez-vous. Par chambre, entendons-nous bien, il est surtout question de musique de l’intime, une dimension du dedans qui ne se partage pas, que l’on garde par devers soi.
Profitons de ce disque pour dire tout le bien que l’on pense de Dial Records, le label qui accueille Wave. Un label allemand qui assume un catalogue à la fois exigeant et stimulant, baignant dans la musique électronique et ses affiliations. On pourrait citer quelques noms dans l’écurie de la belle maison de disques Pantha Du Prince, Carsten Jost ou encore Lawrence. Avec Wave de Christian Naujoks, Dial s’offre une belle porte d’entrée vers une musique plus accessible, un disque élégiaque et ensorcelant. Pour décrire Wave, nul besoin de superlatif ni de qualificatif ou encore moins d’adjectif car ces 10 titres se suffisent à eux-mêmes. Trop les décrire les dénaturerait, ils vivent en autarcie et en autonomie, un peu comme si les notes entretenaient un dialogue avec notre fascination.
Ceux d’entre vous qui connaissent déjà le travail de l’allemand devront faire le deuil du Piano sur ce disque car il est délaissé au profit de la guitare. Soyez rassurés car il y a dans sa guitare les mêmes nuances dans le toucher qu’avec son clavier. Pas de chant auquel s’accrochait non plus. Un album somme tout dépouillé où les affinités pour la chose contemporaine s’effacent un peu pour laisser un air nouveau rentrer dans la pièce. Est laissé de côté également sa passion des rythmes à 5 temps chers à Moondog, référence avérée et remarquée en particulier sur True Life/In Flames.
Wave lui convoque en vous vos vieux souvenirs de Labradford, de John Fahey pour des dérives réverbérées. Little Dume qui ouvre Wave ravira tout fan de The Durutti Column avec cette litanie doucereuse quand Taipei ressemble à s’y tromper à une ligne de fuite. Christian Naujoks s’amuse avec les formats, privilégiant des morceaux plutôt courts, le forçant à s’imposer un caractère incisif mais aussi à parfois donner à ses titres des dimensions elliptiques ou des fins en queue de poisson comme 96 Frames Per Second qu’on aimerait voir se prolonger encore et encore. On comprend vite que ce disque ne peut s’écouter que d’un seul tenant, comme une suite de mouvements qui s’enchaîneraient. Du tout petit Corralito à Wave , Christian Naujoks déploie un spectre sonore qui l’amène aussi des biens dans des questions-réponses entre une guitare et quelques notes de Piano qui ne seront pas sans évoquer Ry Cooder ou parfois Hauschka. Qu’il délaisse le piano et cumule boucle sur boucle de guitare dans Jet Stream ou qu’il préfère la simplicité d’accords mineurs presque saturés sur The King’s Horses, l’allemand laisse exhaler le charme, l’envoûtement pour mieux préparer le grand bouleversement, la larme à l’œil qui se glisse à l’écoute de Playback Room et de sa suite The Game. On devine les vieilles photos jaunies qui tapissent les murs, les papiers peints passés, la vie derrière les rideaux, la vie ici. Wave se termine comme il a commencé avec un Pacific Street dont le titre forcément rappelle le premier groupe de Michael Head mais c’est encore et toujours à Vini Reilly que l’on pense ici.
Vous rappelez-vous la première fois où vous avez découvert la musique de Vini Reilly de Durutti Column ? Une musique faite de ponctuations, de suspension, de prolongation comme ici avec Christian Naujoks et Wave.
Greg Bod
Christian Naujoks – Wave
Label : Dial Records
Sortie : 27 mai 2016