Mocke est toujours là où on ne l’attend pas. Avec St Homard, il propose une musique transgenre, mutine que l’on sent toujours insatisfaite comme pour mieux se régénérer.
Promis, je m’y engage. Je ne vous parlerai pas ici de collage ni de surréalisme ni d’inclassable. Autant de qualificatifs qui collent tellement à la peau de Mocke depuis toujours tant avec Holden, Midget! ou en solo ou encore avec Jean-Louis Prades d’Imagho. Non promis, je ne répéterai pas tout le bien que l’on pense de ce génial guitariste qui réussit à coller mille idées dans un même morceau en se jouant de toute idée de cohérence.
Pourtant, il faut peut-être se résoudre à la légitimité de certains clichés et ce n’est pas St Homard qui viendra nous contredire. Tout ici est un bric et un broc incohérent mais quand on s’y attarde un peu, on se rend bien compte qu’au fil de ce disque, on se fait leurrer par le monsieur qui organise sans le montrer un chaos radieux.
Promis, je ne vous parlerai pas d’art brut, de tentative d’expression de la folie… Non, ce serait ridicule et réducteur. Pourtant, au sein d’un même morceau, on peut y croiser des éléments du Free Jazz dépassés par un psychédélisme lui-même happé dans des consonances africaines. Promis, je ne vous parlerai de copier/coller, cela n’a pas de sens mais pourtant Mocke déforme et triture à l’envie ses titres. On y sent une quête dans l’improvisation, la volonté de se dérouter des cadres.
Difficile de placer un cadran temporel sur les vignettes de St Homard. On peut tout aussi bien se ballader dans un film de Jacques Tati ou de Pierre Etaix avec cet humour absurde, ce dadaïsme enlevé comme l’on peut croiser Henri Crolla. Ici, on marche dans une ville des tropiques, là sur le macadam du Paris des années 30, là dans des années 60 fantasmées.
Promis, on ne limitera pas St Homard à un disque de guitare, même virtuose car Mocke propose bien plus que cela dans des arrangements aventureux où peuvent se croiser flûtes et basson.
Il ne faut pas chercher ici de narration bien limitée, il faut se laisser porter par ces mélodies qui ne savent pas où elles vont mais y vont allègrement. C’est d’un nomadisme ludique.
Ah zut, je m’étais promis de ne pas parler de jeu ou de ludique mais force est de reconnaître que la musique de l’ex-Holden semble provenir de l’enfance. Vous savez, de cette analogie de l’enfant quand il joue. Une pierre qui devient un volcan, une flaque qui devient un océan en pleine tempête. Une libération de l’imagination par la juxtaposition des formules et des hors-cadres. La manière de composer de Mocke relève peut-être un peu de cette idée-là. Construisant, décontruisant ses ossatures, se laissant guider les caprices libertaires de tout son talent. On retrouve chez lui la folie d’un Captain Beefheart.
Ah zut, au même titre que j’avais promis de ne pas utiliser le qualificatif d’inclassable, je ne voulais pas ici vous assommer avec l’éternel name-dropping fastidieux et un brin futile des références car il serait bien difficile de les repérer ici. Mais que l’on soit clairs, je ne dis pas pour autant que Mocke relève des artistes que l’on ne peut étiqueter. Le problème, c’est qu’il fuit entre les doigts comme l’anguille qu’il chérit tant. On jurerait entendre là Eden Abbhez ou ici Moondog mais on ne ferait que jurer et j’avais promis de ne pas jurer.
Chez Mocke, rien n’est facile mais cela n’empêche pas de rentrer avec plaisir dans ce St Homard au charme fou. Puisque nous parlons de clichés, d’idées reçues, de mots faciles de webzinard en quête de phrase choc, d’expression bien sentie ou de mot d’esprit, on pourrait dire que Mocke avec St Homard est comme un poisson dans l’eau mais on avait promis d’éviter les jeux de mots faciles et les blagues éculées.
Alors soyons simples. Sans doute que s’il nous est difficile voire impossible de classer le guitariste dans un genre ou un autres, c’est sans doute que c’est autre chose que la faute à pas de chance. Sans doute, si l’on ne parvient pas à le faire rentrer dans le rang, dans la convention de telle ou telle école musicale, c’est que finalement Mocke ne ressemble qu’à Mocke et c’est très bien comme cela.
Greg Bod
Mocke – St Homard
Label : Objet disque
Sortie le 03 juin 2016