Comment donner une suite à un album devenu culte avec le temps et qui portera au pinacle l’art du sampling ? The Avalanches a attendu seize ans pour y répondre, avec Wildflower, une œuvre redondante dans la méthode mais qui révèle un hédonisme sincère et communicatif.
S’il fallait élire l’album qui représente le mieux l’année 2000, celle du changement de siècle et de millénaire, pas de doute que beaucoup citeraient spontanément le Kid A de Radiohead ou le Voodoo de D’Angelo. Pourtant, pour ceux qui se souviennent, un autre album avait marqué les esprits par sa spontanéité et sa démesure : Since I Left You, le chef d’œuvre et unique album des australiens de The Avalanches.
Un album au style inclassable qui portera au pinacle l’art du sampling (3500 samples ont été utilisés selon la légende) et du mash up (cette technique visant à diffuser simultanément deux voire plusieurs morceaux qui n’ont à priori rien à voir entre eux). Le résultat fut tellement bluffant que l’on pouvait étrangement trouver une cohérence d’ensemble à ce capharnaüm musical où s’entrechoquaient soul, disco, funk, folk et même musique classique.
Seize ans, ça fait long et l’exercice qui était encore original à l’époque, est devenue depuis une pratique institutionnalisée, l’utilisation de titres du Discovery des Daft Punk ou des 2 Many DJ’s comme accompagnement sonore des défilés lors des dernières éditions de la Fashion Week à Paris en étant la preuve incontestable. De quoi donner des regrets à ce collectif d’australiens qui semblait être entré dans une léthargie sans fin depuis ce premier coup d’essai réussi.
Depuis l’annonce de la sortie de Wildflower, le deuxième album officiel du groupe, les raisons de ce long silence discographique restent mystérieuses: des problèmes financiers ont été évoqués (leur label a d’ailleurs fait faillite), mais aussi la santé fragile de leur leader Robbie Chater, l’usage contre-productif de drogues hallucinogènes et même la contrainte logistique que le groupe s’est imposé en voulant coûte que coûte composer ce nouvel album sur Studiovision, le logiciel qui fut utilisé pour Since I left you mais dont la production fût stoppé en 1998 et qui impose l’utilisation des Mac de l’époque, seules machines encore compatibles.
Des motifs nombreux qui ne peuvent cacher l’impossibilité pour ce collectif devenu depuis trio (seuls Tony Di Blasi, Robbie Chater et James De La Cruz sont restés), de donner une suite à la hauteur de leur prédécesseur. Et ce n’est pas Frankie Sinatra, le premier extrait de l’album, avec ses faux airs de titre à la Gorillaz et sur lequel apparaît Danny Brown, qui risquait d’apaiser les doutes (l’original de Wilmoth Houdini intitulé Bobby Sox Idol l’emportant haut la main). Car c’est la « grande » idée du groupe pour ce nouvel album: poser des voix originales en lieu et place des échantillons de voix, peut-être pour mieux se démarquer des pléthores de mixtapes diffusées sur le Net. Et la guest list se veut ambitieuse: outre Danny Brown donc, on retrouve entre autres MF Doom, Biz Markie, Father John Misty, Chazwick Bradley Bundick (Toro y Moi), Jonathan Donahue (Mercury Rev), Kevin Parker (Tame Impala), Warren Ellis, Ariel Pink et Jennifer Herrema (Royal Trux).
Délaissant l’influence du disco et des sixties de Phil Spector et des Beach Boys qui donnait la tonalité à la fois enjouée et mélancolique de leur précèdent opus, Wildflower, qui fait référence au flower power, se veut plus psychédélique et festif, faisant la part belle au rap et à la pop colorée de la fin des années 60. Un mélange inédit mais qui fonctionne à merveille sur des titres comme Because I’m Me où le chant des rappeurs de Camp Lo s’associe à celui des enfants de 11-12 ans des Six Boys in Trouble extrait du titre original Why Can’t Get It Too datant de 1959. La même formule est appliquée sur le Wozard of Iz avec un Danny Brown qui donne la réplique à Suzi Jane Hokom, dont la voix gracieuse (souvent comparée à celle de Nancy Sinatra) résonne encore dans nos têtes depuis sa parution sur l’album Wozard of Iz de Mort Garson datant quand même de 1968.
Histoire de contenter les fans de la première heure, les australiens nous refont le coup de Since I Left You, en mariant harmonieusement envolée de violons et voix aérienne, sur Sundays, qui révèle après une écoute attentive, un astucieux mix entre l’orchestration lyrique du War Ride des Bee Gees et la voix juvénile de Chandra Oppenheim sur sa version à elle de Subways.
Comme pour leur précédent album, Wildflower est une œuvre à écouter d’une traite, chaque titre étant le prolongement du précédent, les transitions, comme le bien nommé Zap, étant un morceau à part entière, du moins du point de vue du tracklisting. Cette ensemble ultra référencé et toujours à la frontière du pastiche donne le sentiment d’écouter un long morceau d’une heure, souvent nostalgique pour les plus érudits, mais surtout festif pour ceux qui se laisseront simplement portés par l’enchevêtrement des mélodies. Rien de nouveau sous le soleil donc pour les plus grincheux, une odyssée sonore qui redonne vie à des trésors oubliés pour les plus convaincus, à l’image de ces quelques sombres vers récités en conclusion de l’album par David Berman, sur Saturday Night Inside Out (titre longtemps retenu pour l’album lorsqu’il n’était encore qu’un projet): « And she taught me to relight, relight and relight again ».
Julien Adans
The Avalanches – Wildflower
Label : XL Recordings
Sortie le 01 juillet 2016