Régis Jauffret est un cannibale. Il mange tout ce qui passe sous sa plume. Ça mord à pleines dents ! Ça déchiquette ! Mais qu’est-ce que c’est savoureux.
© Hermance Triay
Un autre que lui aurait fait de ce roman épistolaire, un échange amoureux gentillet. Noémie aime Geoffrey. Et puis, un jour, comme les histoires d’amour finissent mal en général, elle le quitte. Mais comme rien n’est simple avec Régis Jauffret, Noémie n’envoie pas sa lettre de rupture à l’homme désaimé. Oh que non ! Mais… à sa mère ! Au fil de leur correspondance, les deux femmes se transforment en harpies jusqu’à fomenter un pacte diabolique : se débarrasser du fils et ex-amant et le dévorer cuit à la broche ! Quand je vous dis que Régis Jauffret ne fait rien comme les autres.
Si l’histoire est outrancière, le style de l’auteur, lui, est délicat. Les mots se dégustent. Surtout pas d’empressement pour savourer les arômes subtils que déversent Régis Jauffret sur cette histoire rocambolesque. Alors oui, c’est incisif, méchant, voire cruel mais la cruauté, quand elle est littéraire, est exquise ! Jauffret envoie tout valser : les conventions, la bien-pensance, les bonnes manières. Pas de circonvolution avec lui. Il va droit au but pour nous parler de sa vision du monde. Désenchanté. Et encore, ce mot n’est pas assez fort. Son monde est à feu et à sang. Les sentiments sont exacerbés. L’écrivain parle de nous mais en poussant le curseur un tout petit peu plus loin que la réalité. En tombant ainsi le masque social, il touche la vérité humaine. Forcément, cela remue en profondeur mais c’est parfois utile de se regarder bien droit dans le miroir. Et Régis Jauffret nous force à ne pas détourner le regard. Un bien qui pourrait faire mal. Mais son écriture est le meilleur remède pour soigner nos plaies intimes.
Il parle des maux des femmes avec ses mots de mâle. Et voici ce que cela donne : “Avoir un fils est un malheur, enfanter une femelle doit être une catastrophe” ou “Les pleurs abondants des hommes sont beaucoup plus troublants que leur pauvre semence”. Pas mal, non ? L’auteur se lance même dans des saillies littéraires à faire pâlir de honte tout écrivaillon du dimanche : “Vous êtes l’alcool frelaté de votre orgueil blessé d’avoir été mal pondue par une mère poule trop pusillanime pour vous avoir rissolée à coups de fouet. En fait de verges, vous n’avez connu que celle des hommes”. Fulgurant ! Laissez-vous porter par la folie douce de cet objet littéraire qui promet une rentrée sous les meilleures auspices.
Delphine Blanchard
Cannibales
Régis Jauffret
Éditeur : Le Seuil
192 pages, 17 €
À paraître le 18 août 2016