Françoiz Breut – Zoo

Vingt ans. Opitaing. 20 ans que j’ecoute du Françoiz Brrr. Vingt années de vie sonore commune, de ses premières apparitions au côté du divin chauve de la chanson indé en France (Dominique A qui avait encore quelques poils sur le caillou à l’époque ), en passant par cet introductif solo 20 à trente mille jours qui a été la bande son personnelle d’une rupture douloureuse , traversant la saison volée intime et aujourd’hui donc, zoo.

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J’ai du retard en critiques musicales. Je n’arrive plus à suivre. Je vieillis sans doute, dans un monde ou un album chasse l’autre, où les groupes se multiplient comme le liseron de mon jardin puis disparaissent comme chassés d’un coup de Round Up numérique. Zoo est un de ces albums qui ne se donnent pas à la première écoute. La musique de Françoiz Breut n’est pas une fille facile qu’on coucherait derrière ses oreilles au premier rendez-vous.

francoiz-breut-zooZoo prend de l’ampleur au gré des écoutes. Françoiz Breut y fait une fois de plus montre de son grand talent de conteuse. D’illustratrice d’histoires composées comme la description d’un univers parallèle, en tous points pareil au nôtre, et pourtant différent. Qu’elle conte un amant et on ressent ses branches qui enserrent le corps aimé. Qu’elle évoque Adam et Eve et nous ressentons l’ennui des premiers humains bibliques au bronzage lascif et imparfait. Une image chasse l’autre. Les mots des chansons de Françoiz Breut sont autant de détails des tableaux de la dessinatrice. Plus que nous évoquer des petits moments dans la vie de ses protagonistes humains elle nous fait ressentir les voyages immobiles, les courants contraires, les parts d’ombre, le corps animal, les petites habitudes d’un amour véritable.

Il est beaucoup question de ressenti dans les chansons de Françoiz Breut. On n’écoute pas ses petites vignettes de vie. On les ressent. On se les imagine. J’aime le choix du vocabulaire. Rimes animales, verbes habituellement ostracisés de la chanson française car relégués à l’emphase poétique choisis ici pour leur pouvoir d’évocation et l’effet sur la sonorité des phrases. Breut provoque la langue de la chanson pour lui conserver même en rock, son pouvoir sur l’imaginaire. Le tout avec un naturel qui lui évite l’écueil du texte pour intello dénué de cœur. La maestria s’affirme au gré des albums.

Musicalement, zoo est un pas de deux à la frontière de la chanson française et du rock, où la voix danse la « giguendélire » avec la guitare de Stéphane Daubersy et son petit pédalier  DIY d’effets . Chaque titre tient sur la rythmique mélodique d’une guitare ronde et basse qui impose un tempo, un gimmick dans laquelle semble se lover la voix de Françoiz Breut. On dirait deux compagnons de voyage de l’autre côté du miroir, qui se taquineraient et se provoqueraient sans cesse. Une fois l’une, une fois l’autre tirent la couverture pop à elle et glissent subrepticement les titres de zoo dans les rengaines qu’on finit par siffloter sans s’en rendre compte. Zoo est le premier album de la Françoiz où je n’ai pas l’impression que le chant intervient en surimpression de la musique d’accompagnement, mais plutôt qu’un dialogue s’installe entre la guitare très claire parmi les arrangements et la voix de la chanteuse. Voix et guitares se cherchent,se répondent, donnent corps aux univers complétés du clavier « casio » aux sonorités de jouet fêlé, avec une évidence qu’on sent toute entière amicale. Les petites aventures de Françoiz prennent vie avec simplicité autour du binôme voix /guitare. Le bestiaire de Breut semble prendre vie dans une relation musicale qui doit moins à la démarche d’un arrangeur sur la chanson d’une auteur interprète que de celle d’un groupe composant collectivement, est-ce là la touche de Adrian Utley, guitariste de Portishead que d’avoir réussi à saisir et amplifier cette relation musicale?

Plus « guitaristique » que le précédent essai, plus affirmé musicalement et perpétuant plus avant l’efficacité de l’auteur à dépeindre de petits moments de la vie des autres pour en retirer ce qui fait le sel poétique, zoo est un album diablement réussi. Il mérite plus qu’une écoute distraite et se livre à chaque écoute un peu plus, un peu mieux. Grand album francophone de 2016. M’en serais voulu de ne pas prendre le temps de le critiquer.

4

Denis Verloes

Françoiz Breut – Zoo
Caramel Beurre Salé
Parution: 18 mars 2016