Retour sur la série culte de l’auteur américain, exploration périlleuse des dédales les plus reculés de la névrose. Une œuvre fascinante, entre surréalisme et hallucination amphétaminique.
Comment raconter l’irracontable ? Tout commence dans une chambre vaguement oppressante où s’éveille une sorte de clone de Tintin. Dans le mur du fond, un trou béant va attiser sa curiosité. Celui-ci ne se doute pas qu’en le franchissant, il y découvrira un univers parallèle particulièrement inquiétant… Toxic, comme son nom l’indique… Il faudra avoir les nerfs bien accrochés pour suivre ce récit complexe sans haut-le-cœur, un récit à la poésie maladive où reviennent les mêmes leitmotiv : angoisse de la paternité, quête illusoire d’un père absent, dégoût de la procréation, crise identitaire, crainte de la rupture amoureuse, terreurs métaphysiques liées à notre humaine finitude, autant de thèmes qui se font écho les uns aux autres. Toxic, c’est un drôle de périple où narrations et identités tour à tour fusionnent et se dédoublent, à coups de flashbacks, de mises en abyme et de basculements vers une dimension onirique et terrifiante.
Il serait prétentieux de faire l’exégèse de cette trilogie, œuvre qui ne peut laisser indifférent, d’autant que l’iconographie burnsienne est aussi riche que déroutante et que son auteur ne fournit pas la fiche explicative de ses puissantes images subliminales, laissant à ses lecteurs le champ totalement libre à leurs propres analyses.
Comme dans Black Hole, Charles Burns ausculte à sa manière l’envers du rêve américain, et par extension du « rêve occidental », avec sa ligne claire scalpellienne dévoilant l’âme de ses personnages, une ligne claire que l’on dirait conçue pour mieux faire avaler la pilule d’une vérité trop âpre, et qui dans la forme évoque plutôt l’univers avenant d’Hergé. Un véritable trompe-l’œil qui ne fait qu’accentuer le trouble. Il suffit de regarder les trois couvertures qui mettent en scène Doug (ou son double tintinesque pour le premier tome), dans une attitude de perplexité, de malaise ou d’angoisse face à ce que se yeux viennent de lui révéler, qui un champignon géant, qui une créature mi-humaine mi-porcine, qui un squelette de fœtus également hybride, et toujours dans des lieux sinistres et mortifères, égouts, souterrains, ruines…
Charles Burns parvient véritablement à nous scotcher au mur avec ses obsessions toxico-maniaques en forme de thérapie, sur une terre inconnue où le récit introspectif est poussé à l’extrême, sondant les profondeurs à l’aide d’un univers graphique halluciné qui semble directement inspiré par David Lynch ou William Burroughs.
Si l’on devait établir une comparaison avec Black Hole, autre œuvre remarquable du même auteur, celle-ci était en noir et blanc avec une note d’espoir en conclusion, alors que la trilogie Toxic, agrémentée de couleurs neutres et vives, se termine paradoxalement de façon plus désespérée. Dans les deux cas, des œuvres hypnotisantes, dérangeantes, extraordinaires.
Laurent Proudhon
Toxic (série en 3 tomes)
Scénario & dessin : Charles Burns
Editeur : Cornélius
50/60/60 pages/tome – 21,50 €/tome
Parutions :
Tome 1 – Toxic : 21 octobre 2010
Tome 2 – La Ruche : 10 octobre 2012
Tome 3 – Calavera: 16 octobre 2014