A l’abri du besoin, Rosangelina semble avoir une vie bénie des dieux. Il suffira d’un sourire, angélique et obsédant, celui de sa cousine pauvre, pour bousculer tout ce bel équilibre.
Rosangela mène une vie idyllique : compte en banque bien garni, logement luxueux, belle voiture neuve, enfants brillants, mari aimant, bref, rien ne manque au tableau de cette dentiste reconnue… si ce n’est ce sourire aussi resplendissant qu’obsédant, celui de sa jolie cousine blonde issue d’un quartier pauvre, qui lui semble refléter les feux de l’enfer…
Auréolé de son succès rencontré à Angoulême 2016 avec le polar Tungstène, Marcello Quintanilha nous revient avec cette fois un récit très psychologique. Talc de verre – titre à l’hermétisme intrigant, démontrant un certain goût de l’auteur pour les minéraux – évoque les états d’âme d’une femme brésilienne, dentiste de profession, jouissant d’une vie aisée et sans anicroche, jusqu’au jour où ce train-train trop parfait va être perturbé par un simple sourire, celui de sa jolie cousine blonde Dani. Un sourire qui va finir par l’obséder et remettre en question sa propre légitimité au bonheur, elle qui a toujours bénéficié de la protection de ses parents fortunés. Sa cousine, quant à elle, a vécu dans les quartiers sordides de Rio. Lorsqu’elle se rend au cabinet de Rosangela pour des soins dentaires, cette dernière va se trouver assaillie par mille questionnements qui vont l’obliger, elle, l’enfant hyper protégée, à se confronter à elle-même et à ses pensées les plus obscures… Comment, quand on vient d’un quartier pauvre et qu’on n’a pas eu la plus rose des enfances, peut-on arborer un sourire aussi radieux? Un sourire qui semble faire fi des obstacles, à la limite de la provocation selon Rosangelina, qui au fond n’est peut-être pas aussi heureuse qu’elle le pensait…
Dès l’introduction, l’auteur réussit à imposer un suspense psychologique avec cette voix off qui prend à partie le lecteur et joue la connivence pour mieux scruter le cheminement mental de cette femme, à coup de flashbacks, d’images subliminales et de visions destructrices. Parfaitement maîtrisé, le récit n’a rien de conventionnel dans le sens où il ne se passe pas grand-chose, car à vrai dire, tout semble se dérouler dans la tête de Rosangela, en proie à une confusion mentale croissante née d’un simple sourire. Un sourire qui, tout comme le fameux battement d’ailes du papillon, aura des répercussions aussi imprévues que dévastatrices, entraînant la jeune femme dans une spirale autodestructrice. Le trait photographique acéré de Quintanilha fait ressortir parfaitement les émotions et les tourments de la principale protagoniste, traduisant son chaos intérieur par une mise en page sobre et étudiée.
Cette histoire en apparence insignifiante est extrêmement révélatrice du contexte social brésilien (sur lequel les Jeux olympiques de Rio ont permis – à leur corps défendant – de braquer les projecteurs), où la disparité des richesses n’a jamais été aussi criante. Dans Talc de verre, c’est au sein d’une même famille que ces écarts se dévoilent. Mais l’auteur ne dénonce rien, se contentant d’exposer avec subtilité les rouages d’un récit qui, une fois terminé, laisse infuser sa petite musique à la fois doucereuse et subversive. L’empathie que pourrait éprouver le lecteur pour Rosangela est au bout du compte restreinte par son comportement d’enfant gâtée et ce sentiment d’appartenir « à une classe supérieure ». Le plafond de verre qui la protège en fait également une victime, bien moins armée que sa cousine dont le lot de galères semble avoir renforcé la soif de vivre et qui, telle une Némésis désinvolte, vient réclamer son dû, sans donner à première vue l’impression d’être motivée par un désir de vengeance. Cette bande dessinée en forme de parabole vient à point nommé pour répandre un peu de poil à gratter sur la jolie carte postale brésilienne, à l’heure où les J.O. viennent de prendre fin.
Laurent Proudhon
Talc de verre
Scénario & dessin : Marcello Quintanilha
Editeur : Ça et Là
160 pages n&b – 18 €
Parution : 22 août 2016