Après L’inconnu du lac, Alain Guiraudie partage. Pour l’un, il s’impose en artiste libre dans un film radical aux profondes résonances, et pour l’autre il signe un film morne et triste qui finit par se mordre la queue.
POUR : On aurait eu tort d’oublier la nature terrienne du cinéma de Guiraudie. C’est la terre qui l’inspire et lui permet de mettre en image des contes à la densité unique. C’est elle qui rend ses paraboles d’une désarmante évidence, nourrit ses contes cinématographiques et ceux qui les habitent.
L’histoire de Léo est moins un récit d’errance qu’un mouvement de ballottement. Venu dans les Causses à la recherche du loup, le jeune homme va se laisser porter par les rencontres, concevant un enfant dont la mère partira, donnant et recevant moins, se cachant, allant et venant au gré d’un raccord le propulsant ailleurs puis le faisant revenir.
Guiraudie construit une géographie de fable qui marie les Causses à Brest en passant par le Poitou, alternant soleil et brume, alpages jaunis, bocage et port bercé par les mouettes. C’est alors comme un rêve et c’est aussi la manière dont les personnages se rencontrent. Intuitifs et sans malice, ils se parlent, se rapprochent ou se heurtent mais ne ferment jamais la porte.
L’amour et l’amitié sont affaire de temps ou seulement d’un instant, la vie elle-même venant puis disparaissant naturellement. Léo donnera la vie puis accompagnera la mort avec le même don de soi, la même douceur, la même générosité. Cinéaste des gens de rien, Guiraudie leur offre son regard et leur invente des récits d’évasion et de liberté dont les échos vibrent en nous.
C’est une poésie de chair, de terre et de vent, une prose qui jamais ne pose et sait regarder un sexe, un corps, un paysage, un loup. Si Guiraudie provoque c’est une provocation de sens, s’il choque c’est qu’on ne veut pas voir, encore moins ressentir. C’est un cinéma qui embrasse et crépite.
Avec Rester Vertical, le cinéaste s’impose en artiste libre dans un film radical aux profondes résonances.
Pierre Guiho
CONTRE : De toute notre âme, de toutes nos forces, on aimerait pouvoir défendre ce cinéma radical, fantasque et presque fou. Fou de liberté et de poésie, tranquille sur les chemins de traverse, les échappées belles. Ce cinéma salvateur qui manque pas mal en France où l’on préfèrera conventions et frilosité. Et Alain Guiraudie l’incarne à merveille, ce cinéma, lui qui, depuis ses débuts, se plaît à ne pas faire comme les autres, à filmer comme on bricole, avec passion et maladresse, avec les moyens du bord, loin vers des terres peu explorées. On aimerait donc, mais on ne peut pas. Quand on découvre ce Rester vertical pénible et désolant, on ne peut pas.
Pourtant c’est une histoire qui avait de quoi surprendre, emballante c’est vrai, ou comment un scénariste vagabond, enclin à aimer les filles comme les garçons, se cherche entre scénario à écrire, envie de voir le loup et désir à revendre (pour cette bergère, pour ce drôle d’éphèbe croisé sur la route ou ce fils qu’il aime à tenir dans ses bras, à avoir près de lui). Emballante cinq minutes, c’est vrai, et puis après d’un ennui lourd. Rester vertical est à l’image de ce héros insipide qui ne semble être intéressant que sur le papier. À l’écran, il n’est qu’une silhouette dégingandée qui n’exprime pas grand-chose (Damien Bonnard, figé dans sa diction et ses mouvements, n’arrange pas les choses) et inspire encore moins : pas un instant on ne vibre, on ne s’émeut, on ne ressent. Ressentir que dalle, voilà.
À défaire sans cesse la structure narrative de son film qui avance à la façon d’un marabout bout de ficelle (par raccord de plans, par ellipses, par paysages à géométrie variable, de l’architecture brestoise aux causses sauvages), Guiraudie en accentue le côté étrange et décalé jusqu’à le réduire à un gadget, une intention trop marquée, trop voyante, et qui tombe à plat. Le rythme du film s’en trouve affecté, chaotique et mal fichu ; Guiraudie dynamite (et ça c’est plutôt bienvenu), mais ne sait pas reconstruire ensuite. D’où ce sentiment de désarroi (et de lassitude) que dégage le film et dont il n’arrive jamais à se débarrasser, jusqu’à cette scène finale magnifique qui, évidemment, arrive bien trop tard.
Perdu quelque part entre Pasolini et Bruno Dumont, Rester vertical échoue à donner chair à cette quête du renouveau de l’existence (être père), à sa réappropriation et son maintien décisif, debout face aux autres et aux dangers. Les quelques débordements transgressifs qui ont pu faire jaser (origine du monde, accouchement in situ, sodomie et vit vigoureux) le sont à peine, donnant l’impression d’abord de rajouts inutiles pour souligner que oui, Guiraudie a toujours l’érotisme hardi (mais ça, on l’avait compris depuis un moment). À l’inverse, il est ici morne et triste, et le film est morne et triste aussi, conte moderne, terrien et atypique qui, en parlant de vit, finit par se mordre la queue.
Michael Pigé
Rester vertical
Film Français De Alain Guiraudie
Genre Drame
Avec Damien Bonnard, India Hair, Raphaël Thiéry…
Durée : 1h39min
Date de sortie 24 août 2016