Fabien Guidollet et Sammy Decoster nous offrent avec La Maison Sous Les Eaux et leur projet Facteurs Chevaux un disque de folk minimal qui doit beaucoup aux orchestrations vocales des Everly Brothers.
Facteurs Chevaux, vous les aviez peut-être repérés à la faveur de la sortie de leur premier Ep en 2013. Si je vous dis Verone , il y a fort à parier que vous penserez tout d’abord à la ville de nos voisins transalpins mais très vite vous reviendra les albums du groupe parisien. Peut-être ce nécessaire de vous rappeler ici et maintenant que Fabien Guidollet et Sammy Decoster officient ensemble dans le groupe susnommé mais également au sein de Facteurs Chevaux.
On est en droit de se demander alors de l’intérêt de se diluer dans une telle bicéphalie. D’un côté Verone, de l’autre Facteurs Chevaux ? Sans doute, pour proposer quelque chose d’autre tout simplement que ce qu’ils peuvent nous montrer avec Verone. Ceux qui connaissent le premier projet de Fabien Guidollet savent déjà ce goût d’une certaine luxuriance dans les arrangements mais aussi d’une forme de folie douce et onirique qui peut dérouter les plus frileux.
Certains se rappeleront aussi de Tucumcari, le premier disque de Sammy Decoster en 2009, d’autres les productions de Verone, il faudra maintenant compter sur les élégances minimales et habitées de Facteurs Chevaux.
Pourtant avec La Percée, leur dernier disque en date, Verone poursuivait un peu les mêmes pistes que Facteurs Chevaux sur des titres comme La Vallée, La Percée ou Izenah, soit un Folk à l’os, dépouillé que viennent souligner les harmonies vocales de Fabien Guidollet et Sammy Decoster. Si l’on tentait de délimiter les prés carrés des influences de ces deux-là, on pourrait évoquer les Everly Brothers, David Crosby et le folk américain des années 60 et 70.
On sent à l’écoute la spontanéité d’un enregistrement direct et sans filet, l’émotion dans son habitat naturel à l’image des prises de son des années 50. Cela participe sans doute de cette impression d’être avec eux le long de ces huit titres. Se dégagent également de ces mélodies une véritable modernité dans une étrangeté rafraîchissante. Sans doute, la faute à un lyrisme appuyé et à une expressivité affirmée dans la voix, comme une théâtralité de l’espace. Ce qui semble évident chez eux, c’est que leur but premier est de nous raconter une histoire façonnée par des impressions forcément fugitives. Leur musique glisse entre nos doigts et conserve un mystère intact et plein.
De l’inaugural Je n’ai plus peur de toi au presque psychédélique La maison sous les eaux, Facteurs Chevaux s’affirme avec une paradoxale singularité, paradoxale car les ingrédients proposés ici, on les a fois maintes et maintes fois entendu, pourtant, jamais cela ne sonne comme de la redite.
« Les fleurs ne se coupent pas car sinon leur cœur flétrit »
Il ne faudrait pas non plus oublier la force des textes comme Les Dames de pluie qui font confiance à l’intelligence des auditeurs. C’est une écriture subtile et impressionniste, riche et simple à la fois que l’on pourrait rapprocher de celles de Pain Noir ou d’Orso Jesenska.
C’est un étrange lyrisme économe, un peu à l’image d’une monochromie sonore. D’abord, on n’y distingue guère que du gris clair, du noir et blanc mais à force que l’œil et l’oreille s’accommodent, on y devine les petits détails qui diffusent la fascination. Quelque part, le vrai minimalisme, c’est celui qui laisse de l’espace entres les silences, les ombres et l’émotion.
Parfois, vous penserez à Michel Legrand, à Georges Delerue ou à Ennio Morricone pour cette véritable mesure de l’emphase, toujours savamment dosée (ni trop ni trop peu) comme la rupture dans If le grand if.
Chez Facteurs Chevaux, il y a une forme de mysticisme ambivalent car toujours confronté à un paganisme quand ils ne chantent pas carrément les esprits de la forêt et un animisme premier. Mysticisme également dans l’incandescence du chant.
Le folk de Fabien Guidollet et de Sammy Decoster s’égare parfois dans la musique médiévale, deux troubadours perdus entre deux aspirations, une soif de modernité et une envie de régression comme avec Les Renards, lente progression à la fois puissante et fragile. Valhalla lui sent la mousse et l’humus, la forêt, une farandole autour d’un grand feu.
Incandescent le chant, parfois cynique et lucide aussi. Prenez Divin Déchet, balade déchirante et tendre malgré tout que ceux qui vomissent leur haine et leur patriotisme frelaté ici et là ne pourront comprendre, trop emplis qu’ils sont de leur autosuffisance.
Chez Facteurs Chevaux, il y a toujours une forme de distanciation comme quelqu’un qui regarderait le monde entier caché sous le rideau de sa fenêtre. Ici, on est dans les terres de la contemplation. Ici, c’est le temps, la durée de la pousse d’un grand chêne. La sève qui gagne les cimes inexorablement. Le bruit du vent sur les plus hautes branches, le son crépitant de vos pieds sous ce grand pin.
Greg Bod
Facteurs Chevaux – La Maison Sous Les Eaux
Label : La Grange aux Belles / Modulor
Sortie le 16 septembre