Matthew Cooper, qui est loin d’en être à son coup d’essai en terme de création de joyaux, signe le meilleur album d’Eluvium avec False Readings On.
Ce que l’on aime depuis toujours chez Matthew Cooper qui se cache derrière son projet Eluvium, c’est son minimalisme. Ce que l’on aime depuis toujours chez Matthew Cooper qui se cache derrière son projet Eluvium, c’est aussi la magnificence de ses arrangements. Car depuis les débuts de ce monsieur qui vit du côté de Portland, ce qui a toujours marqué sa musique, c’est cette bicéphalie entre des œuvres très dépouillées principalement structurées autour du piano et des titres plus en dimension cinémascope. Eluvium n’a jamais vraiment cherché à choisir entre les deux penchants.
On dit parfois qu’une ville a une incidence sur l’œuvre d’un artiste. Que serait Heroes de Bowie sans le Berlin d’avant la chute du mur ou certaines œuvres d’Arvo Pärt sans son Estonie ? Il en va sans doute de même pour Matthew Cooper et Portland.
Mais inversons un peu la problématique. Comment une ville peut-elle à ce point faire cohabiter des musiciens à la sonorité aussi voisine , ce que l’on peut appeler une scène ? Comment expliquer ce genre de phénomène qui fait par exemple pour le cas de Portland que des artistes proposent une œuvre certes expérimentale, souvent instrumentale mais aussi accessible. Pensons par exemple à Peter Broderick. On ne trouvera pas une seule explication dans le nombre de salles de concerts ou de lieux d’enregistrement. Cela ne peut être dû au seul hasard.
Ce qui laisse à penser qu’une ville finit par marquer de son empreinte l’esprit de celui qui l’habite. A coup sûr, Matthew Cooper est imprégné de Portland. La ville insuffle en lui comme en nombre de ses voisins sa devise « Préservez mon étrangeté ». On sent la pluie de ces rues dans les disques de Pavement ou ceux de Liz Harris de Grouper.
La seule constance que l’on voit se déployer chez Eluvium depuis huit albums, c’est cette mélancolie spatiale, cette dissonance à fleur de chair. Prenez Strangeworks et les bruits blancs secs du début qui sont le plus beau des contrastes pour la progression qui suivra. C’est aussi beau, minimal et lacrymal que ce que peuvent proposer Adam Wiltzie et Brian Mc Bride au sein de Stars Of The Lid.
Dans la musique de Matthew Cooper, on retrouve le même désespoir de peu de mots que l’on retrouvait dans les disques d’Elliott Smith, autre natif de Portland. Au fur et à mesure des 11 titres, on se sent léger comme la chute d’une plume qui ne sait encore si elle vole ou si elle s’écrase au sol. On est dans ce minuscule espace-temps où l’on ressent tout et à la fois si peu à la fois.
Bien sûr, l’américain est également éduqué à la musique classique, la contemporaine en particulier comme cela se ressent à l’écoute de Fugue State qui évoquera à certains le John Luther Adams des Dark Waves. On est bien loin ici des Miniatures de Matthew Cooper seul au piano tant il est évident que ce qui l’intéresse c’est de malaxer l’espace par couches successives, par boucles se répétant à l’infini et forgeant presque par magie des mélodies à la fois inertes et brûlantes.
C’est aussi un jeu sur la dissonance, jamais très loin du bruitisme mais pas un bruitisme à la Hecker, pas celui des villes abandonnées. Celui de Matthew Cooper, c’est un bruit sans être humain, sans leur trace. Mais de cette absence nait le manque. Les striures de chant d’une soprano sur Regenerative Being, les molécules isolées au fond d’une rivière.
Il est des musiques horizontales et d’autres verticales. Celle de Matthew Cooper est des deux terrains.
L’un propice à l’entre-soi, l’autre à l’élévation. Ce n’est pas une œuvre austère ou intimidante mais pour autant elle se refusera à l’écoute paresseuse de celui qui n’en percevrait qu’une fonctionnalité de remplissage.
Plus on avance dans False Reading On, plus on se prend à élever les yeux Que cela soit sur Movie Night Revisited ou encore Beyond The Moon For Someone In Reverse, on a presque du mal à penser que nous ne sommes pas immergés dans un rêve tant la beauté qui se dégage de l’univers de Matthew Cooper restaure la notion d’une virtuosité au service de la simplicité et de l’émotion.
Ce qui en fait un grand disque également, c’est cette réticence à se laisser happer dans un genre musical ou un autre. Il préfère égrener des détails des uns et des autres, tenter une escapade dans le Post-Rock, s’y ennuyer un peu et se perdre dans une électronique abstraite. Se lover dans l’inconfort, laisser son pied se poser sur le morceau de verre pour ensuite retrouver le plaisir du velours.
Une fois encore, ceux qui n’y entendront rien n’y verront non pas que du feu mais guère plus que des nappes synthétiques, de celles qui faisaient les beaux jours des compilations électroniques dans les années 90. Quant à vous, vous vous laisserez engluer dans le flou de ce qui s’avère le plus beau des écrins des douleurs de l’intime. False Readings On n’est rien moins que le miroir des doutes, de l’angoisse et de la peur de se perdre.
False Readings On est sans doute la somme de bien des douleurs pour Matthew Cooper mais comme on le sait déjà et depuis bien longtemps, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Il serait injuste de ne pas se laisser tenter par telle injustice, c’est le moins que l’on puisse lui offrir en guise de réconfort.
Greg Bod
Eluvium – False Readings On
Label : Temporary Residence
Sortie : 2 septembre 2016